Manipulé par Chagall, le cubisme n'est ni un jeu de construction gratuit, ni une nouvelle genèse de la nature des choses, ni un calcul de probabilité. C'est une piste d'envol et un tremplin. Le peintre perfore les murs et renverse les maisons. Il incline ou retourne les objets. Son monde à l'envers entre en transes. La laitière tombe du ciel. Sa tête la suit de loin. La vache se tient debout sur un toit à pentes raides : À la Russie, aux ânes et aux autres (1912). L'œuvre d'art, selon Chagall, n'est pas une projection de la vie extérieure. La réalité fait place à la fiction qui en exprime l'essence.
Si les motifs des tableaux de Chagall heurtent l'opinion commune, ils ne sont pas absurdes ou arbitraires. Ils ont un sens caché. Mais la folie, dont Erasme fait l'éloge, n'est pas l'unique argument de l'artiste. Si Paris à travers la fenêtre (1931) est un paysage dans lequel il marie la tour Eiffel et l'île Saint-Louis, si les silhouettes de ses promeneurs couchés ont l'air de se promener sur un lit de nuages, si le chat a un visage humain et si le personnage assis au premier plan est un homme à deux têtes, Chagall compose toute une suite de portraits qui n'échappent à la norme que parce qu'ils ont une âme.