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Critique de colimasson


C'est la question de la poule ou de l'oeuf. Lequel des deux est arrivé le premier : le langage ou la pensée ? Si la linguistique devait s'intéresser à un problème majeur de son domaine, c'est bien celui-ci. Noam Chomsky nous explique pourquoi en trois conférences chronologiquement caractéristiques : le passé, le présent, le futur.


Le passé permet de partir sur des bases communes et de comprendre pourquoi la linguistique est devenue ce qu'elle est aujourd'hui. Noam Chomsky différencie essentiellement deux courants majeurs qui sont la grammaire philosophique -surtout prégnante au siècle du Romantisme- et la grammaire structuraliste -qui eut une influence décisive jusqu'à la moitié du 20e siècle. Des concepts importants sont posés et déjà, la distinction se fait entre structure superficielle et structure profonde. La question se pose de savoir quelles lois régissent le rapport entre ces structures.


Le présent est une conférence essentiellement technique au cours de laquelle Noam Chomsky présente l'état d'avancée des recherches dans le domaine de la linguistique au moment où il s'exprime, en janvier 1967. Structure profonde et structure superficielles sont encore utilisées et sont déployées ici pour illustrer concrètement leur intérêt dans l'étude du langage. Les exemples se multiplient et, pour peu que l'on maîtrise l'anglais et que l'on connaisse certaines de ses subtilités, on saisira plus facilement les enjeux de la linguistique.


« Un problème majeur est posé par le fait que la structure superficielle en elle-même donne généralement très peu d'indications sur le sens de la phrase. Il y a par exemple de nombreuses phrases ambiguës d'une façon que n'indique pas la structure superficielle.
Considérons la phrase 4 :

4 – I disapprove of John's drinking.

Cette phrase peut faire référence soit au fait que John boit dans l'instant, soit à son caractère. L'ambiguïté est résolue, de façons différentes, dans les phrases 5 et 6 :

5- I disapprove of John's drinking the beer.
6- I disapprove of John's excessive drinking.

Il est clair que les processus grammaticaux sont implicites. »


La réflexion tourne donc essentiellement autour du problème qui consiste à révéler quels sont les processus qui relient la représentation phonétique à la représentation sémantique –ce n'est qu'une autre façon d'aborder, en creusant un peu plus profondément, l'ancienne dualité entre structure superficielle et structure profonde.


Le futur est une conférence plus spéculative mais c'est sans doute la plus intéressante. Noam Chomsky émet ses opinions quant à savoir quelle direction devrait emprunter la recherche linguistique pour dépasser tous les anciens clivages et modèles de prêt-à-penser dans le domaine du langage. Sans qu'il ne le dise clairement, on sent que l'émergence parallèle des sciences neurobiologiques a pu influencer Noam Chomsky. Dans le futur, le langage devra trouver une explication plus convaincante dans le réseau synaptique :


« En d'autres termes, nous pourrons poser la question suivante : quelle structure initiale doit posséder l'esprit pour pouvoir construire une telle grammaire à partir des données des sens ? »


Nous pénétrons ici en territoire mystérieux et Noam Chomsky ne cherche pas à spéculer. Il débroussaille à peine le terrain en nous faisant connaître quelques idées corroborant son hypothèse et nous abandonne à notre méditation, sans avoir rien résolu ni souhaité le faire. Aux autres de prendre le relais…


Le langage et la pensée signerait donc la fin de la linguistique telle qu'on la connaissait dans les années 1970. Que s'est-il passé depuis ? La structure innée que doit posséder l'esprit n'a toujours pas été clairement identifiée et si certaines découvertes ont pu nous faire cheminer tranquillement dans cette direction, il n'existe toujours aucune hypothèse qui ne soit « suffisamment riche » pour contenter Noam Chomsky.


D'abord hermétique, cette lecture nécessite une concentration accrue pour se révéler progressivement. Noam Chomsky ne cherche pas particulièrement à se montrer accessible et dans le cas d'un linguiste, on peut se demander si cela n'est pas fait sciemment. « Hérétique, n'essaie pas d'en savoir plus que tu ne le dois » -ainsi semble-t-il vouloir s'adresser au lecteur du dimanche. Peut-être parce qu'il s'est passé peu de choses depuis les années 1970, le langage et la pensée ne donne pas l'impression d'être révolutionnaire et n'apprend rien que l'on ne connaissait déjà. Il s'agit simplement de soulever le mystère expliquant l'émergence du langage chez l'être humain en insistant sur la nature forcément complexe de ce processus –au moins aussi superficiellement alambiqué que le livre qui en parle- et peut-être, finalement, aussi profondément trivial qu'il nous apparaît à la fin de la lecture. Rappelons toutefois que plus de quatre décennies sont passées par là, ce qui explique peut-être une relative déception.
Lien : http://colimasson.over-blog...
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