Je lis tout ce qui est imprimé, des livres empruntés ou volés, jusqu'aux papiers ramassés par terre. Des textes souvent en espagnol. Je me prends de passion pour les enseignes des magasins et des cafés, presque toujours en espagnol elles aussi. Certains jours, je les recopies dans mon cahier de brouillon. Je suis porté par la frénésie d'apprendre, tout et très vite, même dans les pires moments. Rimbaud a bien raison de s'écrier [dans l'une de ses notes d'écolier pendant les cours de grec et de latin : « Album Rimbaud, Gallimard, 1967 » N.d.T.] : « Sapristi, moi je serai rentier, il ne fait pas bon s'user les culottes sur les bancs (sic) saperlipopet-touille ! », lui qui a écrit et qui a vue. L'écriture et la lecture sont devenues pour moi une véritable obsession qui me hante aussi bien dans le sommeil le plus profond qu'éveillé. J'ai parfois la sensation d'être moi-même une lettre de l'alphabet, immense, ou une gigantesque plume. Cauchemar ! Quand je n'ai pas de quoi m'acheter un cahier, je copie les leçons sur des bouts de papier trouvés par terre qui ont déjà servi.
(page 33)
[À l'hôpital psychiatrique de Tétouan] Abdelhakim m'adresse la parole pour la première fois alors que nous prenons le petit déjeuner. Il me dit :
— Celui qui vient nous voir est notre frère. Celui qui ne vient pas est notre vrai frère.
(pages 161-162)
Le silence y est si profond que j’ai envie de m’y jeter. Il ravive ma détresse, mon propre silence infini.
Les prophètes n’ont pas besoin de s’instruire, tout leur vient du ciel. Les autres doivent tout apprendre de leurs semblables en les imitant, comme font les singes.
Youssef s'exclame :
— La mort est la grande vérité !
Mansour intervient :
— un jour sur la terre vaut mieux que mille jours dessous.
(page 123)
Les singes sont plus aimables entre eux que les hommes.
Je ne me souviens plus de rien. Le trou. Tout m’échappe, jusqu’aux mélodies les plus belles, celles que j’adore, comme si je n’avais jamais enregistré de souvenir. Mon cerveau est vide, lessivé. J’ai un léger mal de tête et les oreilles qui bourdonnent. L’impression d’entendre les battements de mon cœur. J’ai sûrement fumé trop de kif, et toujours rien dans l’estomac.
— On dit que Tanger pleure celui qui ne la connaît pas, et qu’on la pleure quand on l’a vue.
— Celui qui en tombe amoureux souffre à en mourir.