AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Woland


ISBN : 9782701148601


Merci aux Editions Belin.com qui, en échange de notre avis sur ce livre dans le cadre de l'une des "Masses Critiques" de Babélio, nous ont gracieusement envoyé un exemplaire de cet ouvrage.


Le Rwanda et son génocide - qui ne fut pas le premier, soit dit en passant - des années quatre-vingt-dix, qui ne s'en souvient ? Comme tant d'autres personnes, accablées sous le poids des ouvrages qui furent - et continuent d'être - consacrés à cette question, je suis toujours à la recherche de quelque chose qui pourrait m'éclairer. Plus précisément, du point de vue intégralement impartial qui pourrait le faire. Il est évidemment très difficile d'écrire sans s'emporter sur un tel sujet, et ceci que se soit dans un sens ou dans l'autre de la balance. Mais enfin, le lecteur et l'amateur d'Histoire espère toujours : il y a toujours en lui, que voulez-vous, et ceci quel que soit l'âge qu'il a atteint, un peu du Candide de Voltaire ...

Intriguée par le sous-titre de l'ouvrage de Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, cette "idéologie hamitique" dont je me demandais bien à quoi elle correspondait, j'ai donc postulé pour le lire. Un autre sous-titre cependant, dispensé et largement relayé, je m'en rends compte aujourd'hui, par nos très chers médias, me fit cependant froncer les sourcils. Il s'agissait ni plus ni moins que "Du Juif au Tutsi" ...

Mais ce n'était pas cela qui allait me faire reculer. Après tout, en toute chose, il faut juger sur pièce, n'est-ce pas ? et non chat en poche.

J'appris ainsi qu'on pourrait aussi bien écrire "idéologie chamitique", l'adjectif "hamitique" provenant en fait de la légende biblique qui affirme que le peuple noir descend en droite ligne de Cham, ce fils de Noé qui manqua, dit-on, de respect à son père et qui, de ce fait, dut subir - avec ses innombrables rejetons - la colère toujours aussi hargneuse et disproportionnée de Jéhovah. Depuis très longtemps, cette histoire avait permis de justifier plus ou moins le principe de la traite des Noirs, et ceci aussi bien aux yeux des Arabo-musulmans, les premiers à l'entreprendre, rappelons-le, qu'aux yeux des Européens et des Américains.

J'appris aussi que, lorsque nous autres, Blancs et Occidentaux, commençâmes vraiment à vouloir coloniser l'Afrique, certains pseudo-penseurs - probablement les descendants des justificateurs de l'esclavage des Noirs par le "péché" prétendu du Cham mythique - s'enthousiasmèrent pour la différence de traits et de couleur de peau enregistrées entre les peuplades littorales et, par exemple, celles qui sont proches du désert. Ainsi qu'il en est de même en Inde, où les membres des castes élevées comme les brahmanes ou les ksatryas (= guerriers) ont souvent les traits plus fins et la peau bien plus claire que, mettons, les Intouchables, pudiquement rebaptisés "Enfants de Dieu" par Gandhi, les différentes ethnies qui peuplent l'Afrique présentent de grandes disparités physiques. Nos pseudo-penseurs s'engouffrèrent avec joie dans la brèche ainsi ouverte et, sans songer apparemment un seul instant que, de même chez les Blancs, certaines différences se font jour entre un Scandinave et un Italien - pour ne citer que ces deux peuples - pondirent toute une théorie absurde comme quoi il y avait - citant ici les auteurs du livre, je vous remercie de ne pas me prêter des intentions racistes - "les vrais Nègres" et "les faux Nègres."

Pour un siècle qui, comme le XIXème, se voulait très féru de précision scientifique, l'idée était plutôt bizarre. D'autant que les mêmes finirent - en tous cas, je vous rapporte là les dires de Messieurs Chrétien et Kabanda - par déclarer doctement que les "faux Nègres", ceux à la peau plus claire et aux traits non négroïdes, n'étaient autres que les descendants d'une ancienne peuplade blanche - sans doute remontait-elle elle aussi au Déluge - qui, en raison de divers aléas, avaient subi un métissage plus ou moins appuyé avec les peuples véritablement autochtones, les "vrais Nègres", plus noirs que la suie et aux traits visiblement plus marqués.

Arrivée à ce stade de ma lecture - et on y arrive dès les premières pages - je ne savais plus très bien si je devais rire ou me lamenter. Mais après tout, et ce n'est pas notre époque qui me convaincra du contraire, les hommes sont capables des pires absurdités quand il est question de justifier leurs mauvaises actions. Alors, pourquoi pas ? ...

Là où le bât se mit soudainement à blesser la brave mule occidentale que je suis , c'est lorsque Messieurs Chrétien et Kabanda entreprirent d'affirmer comme vérité d'Evangile que cette théorie pour le moins fumeuse établie par les Blancs et utilisée par eux comme un moyen de pressurer les Africains et de les dresser les uns contre les autres se trouvait à l'origine du conflit Hutu-Tutsi, avec les sinistres conséquences dont tout le monde se souvient encore. Il est vrai que, à la toute fin du livre, les mêmes intercalent dans cette propagande une petite phrase qui précise tout de même que, bien avant l'arrivée des Blancs sur le continent africain, tout n'était déjà pas rose entre les Tutsis et les Hutus mais il faut vraiment lire le volume jusqu'au bout et demeurer vigilant pour la repérer.

En résumé, je dirai que ce livre est bien fait - terriblement bien fait, même - qu'il regorge de statistiques, d'événements, de faits historiques qui n'ont pas été inventés mais qui, malheureusement, racontent non seulement le génocide rwandais mais aussi l'Afrique noire sous un seul éclairage, cet éclairage univoque né de la vogue démente de "la repentance à tous prix" qui veut que, avant l'apparition des Occidentaux en terre africaine, le vaste et prodigieux continent noir ait été une espèce de paradis terrestre qui ignorait les guerres, les rapports de force, l'exploitation des minorités, la traite des esclaves - le Mal en un mot.

Utopie que tout cela, si adroitement présenté cela soit-il. S'il y a bien une chose qui soude les hommes entre eux plus solidement que quelques légendes religieuses, bibliques ou pas, c'est le fait que l'homme est le seul animal capable de tuer seulement pour le plaisir et de mettre les siens en cage pour son seul profit. Donc, si vous voulez en savoir un peu plus sur le drame du Rwanda, lisez par exemple Pierre Péan - qui est d'ailleurs largement égratigné dans le livre de Chrétien et Kabanda - et reprenez votre bâton de lecteur-pèlerin en quête d'impartialité et de recul. La route est longue mais elle aura une fin. Et que le Grand Dieu Thôt, cet éternel protecteur des scribes et des lecteurs, Africains ou non, bénisse votre voyage. ;o)
Commenter  J’apprécie          31



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}