Se sentir dépendant des autres, affaibli, proférant des phrases qui n'inspiraient plus la moindre crainte, mais plutôt de la pitié sinon de la compassion, le détruisit complètement. Nous qui avions dépendu de lui par tant d'aspects différents, étions soudain devenus son seul bâton de vielliesse, son seul contact direct avec la réalité.
Mon père ne m'a jamais encouragé à devenir quelque chose ou quelqu'un.
Ton père ne gardait jamais rien pour lui, disent les gens qui s'en souviennent. Peut-être partageait-il tout avec les autres, mais avec moi il gardait tout pour lui.
Je voulais tout simplement saigner en même temps que ma grande soeur, celle qui a fui en France pour y reconstruire un monde qui lui fasse oublier l'abandon et la rupture, le désespoir et l'impuissance.
"Le jour où ton père est mort, je suis née une seconde fois", m'avoua-t-elle une fois pendant un de ces déjeuners thérapeutiques où nous nous faisions l'un à l'autre des confidences. Au début, je ne sus pas très bien comment interpréter ces mots, mais il me sembla reconnaître dans le ton la petite musique d'une renaissance libératrice, plutôt que celle d'une émancipation forcée.
Nous accusons souvent nos parents de défauts qui leur seraient très personnels, sans penser que ce pourrait être des failles géologiques, des failles originelles : des ulcères présents depuis des siècles et des générations sans qu'on n'ait rien fait pour les soigner; des étoiles de mer pourries collées depuis plusieurs centaines d'années au même rocher, qu'on ne parvient plus à voir, mais qui sont toujours là, dans les profondeurs, en train de réclamer notre contact.
L'ignorance est une détresse et la détresse une intempérie : voilà pourquoi elle vous irrite, vous étourdit et vous donne froid.
Certains individus ne savent exprimer leurs sentiments que par écrit. Mon père faisait partie de ceux-là. Pour lui les mots étaient le lieu de l'affect, l'endroit où les sentiments érodés du quotidien réapparaissaient et reprenaient forme.
Pas un roman biographique. Pas historique. pas documentaire. Un roman conscient du fait que la réalité ne passe qu'une fois et que toute reproduction qu'on tente d'en faire est condamnée à la falsification, à la distorsion, au simulacre.
* « Mon cher fils Federico, veille bien sur tes perspectives, car elles dépendent de tes aptitudes à t’imposer à la vie et à aimer les tiens !....
« Tes aptitudes à t’imposer à la vie » ......En quoi consiste le défi de s’imposer à la vie ? Cela ne signifierait-il pas par hasard modifier le cours naturel de la vie, se rebeller contre son ordonnancement, se mutiner contre ses caprices ? S’imposer à la vie, c’est empêcher que la vie dicte les règles du jeu et définisse le périmètre de nos mouvements. S’imposer à la vie, c’est l’acculer, la soumettre, éluder ses pièges, se méfier de son charme, jouir de ses récompenses sur la pointe des pieds. C’est se méfier nécessairement de son apparente harmonie, douter de ses définitions et de ses stéréotypes. Si l’on permettait à la vie de nous entourer et de nous étouffer, comme une mer séductrice qui, calme dans un premier temps, se creuserait soudain pour tout emporter sur son passage, alors on perdrait toute perspective, toute distance, tout horizon. Si l’on n’est pas plus malin que la vie, si l’on ne voit pas plus loin que le bout de son nez, on ne peut pas appréhender l’avenir, on demeure immobile et l’on est incapable d’aimer.....