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Critique de Arimbo


Philippe Claudel, un auteur dont j'ai lu beaucoup de belles critiques sur ce site, notamment de mes amies et amis, ce à quoi j'accorde plus d'importance que le fait qu'il soit membre du Jury du Prix Goncourt.

Je commence la lecture de ses romans par celui-ci, le rapport de Brodeck.
Je ne m'attendais pas à être aussi saisi, bousculé, ébloui par ce livre.
J'ai à la fois le coeur serré après l'avoir lu, et beaucoup d'admiration devant la beauté noire de ce livre et la richesse des thèmes qu'il évoque. A ce point, comme chaque fois que j'ai affaire à un chef-d'oeuvre, mes idées se bousculent, il y a tant de choses à dire, j'en oublierai sûrement.

C'est une fable sur l'intolérance et la haine, le refus de la différence et le rejet de l'étranger, de l'autre « qui est différent », sur la puissance néfaste de la foule, la suspicion, la lâcheté, sur le devoir de mémoire face à ceux qui veulent oublier, ou justifier leurs méfaits, sur la souffrance des coeurs purs face à la violence, sur le sentiment de culpabilité des victimes, sur celles et ceux qui ne sont rien, mais qui devraient compter tant dans une société, et bien d'autres choses encore.

Le début est saisissant.
C'est Brodeck qui parle: « Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache » Et très vite c'est l'événement horrible qui est raconté, ce que Brodeck appelle l'Ereigniës, « ce qui s'est passé », en réalité, l'innommable.
Le jeune Brodeck, venu chercher un peu de beurre à la demande de sa mère adoptive, Fedorine, arrive dans l'Auberge Schloss, et c'est la stupéfaction. L'auberge est remplie de la quasi-totalité des hommes du village, et ceux-ci viennent de cribler de coups de couteaux mortels, celui qu'il dénomme l'Anderer, un étranger venu on ne sait d'où pour s'installer dans ce petit village d'environ 400 habitants et y vivant depuis plusieurs mois.

Brodeck est chargé par le Maire et d'autres habitants de rédiger un rapport sur ce qui s'est passé, afin de justifier ce crime collectif. Peu à peu, de façon magnifique et terrible, l'histoire se dévoile, ou plutôt les histoires se dévoilent, gardant toujours une part d'ombre, d'énigme.
Brodeck vit dans un village de montagne à l'écart du monde, et faisant partie d'un pays qui a été occupé, puis récemment libéré, suite à une guerre déclenchée par un autre qui évoque l'Allemagne nazie.
Il est un orphelin, dont les parents ont été tués, on l'imagine lors d'un pogrom, recueilli par Fedorine, et arrivé enfant au village. Bien que ses capacités intellectuelles aient poussé le Maire du village, Orschwir, à l'envoyer à la « Capitale » (dont on ne saura jamais le nom), pour faire des études universitaires, il a toujours été un peu marginalisé, on apprendra pourquoi.

Il va progressivement nous raconter sa vie, un récit qu'il écrit en même temps que son « rapport ». Et c'est une histoire terrible que celle de Brodeck, faite de mois passés dans un camp d'extermination, dont il sortira vivant, alors que tout le village le croyait mort. Mais il découvrira à son retour toute l'ignominie, la lâcheté, qui est derrière son sort de victime, liée, sans doute sans que cela soit dit, à sa judéité.

Et en parallèle de son récit de vie, c'est l'histoire de l'Anderer qui nous est progressivement dévoilée, avec son lot d'abord d'incompréhension, de rumeurs, puis progressivement de haine d'un étranger qui renvoie en miroir aux villageois leurs défauts, leur bêtise et leur méchanceté.

Et face au mal, il y a le sentiment de culpabilité des victimes et de ceux qui, ayant le coeur bon, n'ont rien fait pour éviter les drames, les horreurs, pour lesquels il n'y a comme issue que le suicide, ce sera le cas de l'ami Diodème, ou la fuite, ce sera le cas de Brodeck et de sa petite famille.
Et il y a, à l'opposé, la volonté de « gommer » l'ignoble qui a été accompli de tous ces meurtriers, ces acteurs du mal. Et la puissance maléfique de l'effet de foule, que Brodeck nous fait voir, au village mais aussi lors de son séjour d'étudiant à la Capitale.

Et en contraste, il y a la beauté merveilleuse de la nature, avec des descriptions extraordinaires, mais une nature qui, aussi peut être au diapason des évènements, souvent de façon énigmatique. Pourquoi, par exemple, tous les renards meurent en pleine santé? Quel rôle joue la rivière Staubi, proche du village?

Et en contraste, il y a aussi la joie innocente des enfants, de Poupchette, la petite fille de Brodeck, elle aussi une victime, mais inconsciente, de l'horreur des événements.

L'écriture magnifique, riche d'images et de mots, d'une grande beauté, rend encore plus fort ce récit prenant.

Le lecteur ne peut que penser,en lisant cette fable, aux ravages qu'a provoqué et provoque encore la haine de l'autre, l'intolérance, le racisme. Cette histoire poétique d'un village, au sein d'une allégorie de la grande Histoire, dissèque les ressorts du rejet de celles et ceux qui ne sont pas comme nous, de la tyrannie de la majorité, de la foule à l'égard des minorités.
Toujours d'actualité n'est ce pas?
Mais raconté par Philippe Claudel, cette boue devient de l'or, pour paraphraser mon cher Baudelaire.

Et le lecteur que je suis, n'a qu'un désir, en lire d'autres du même auteur, et sûrement aussi, relire le rapport de Brodeck.




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