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Critique de gerardmuller



Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir / John Cleland (1709-1789)
À l'époque, vers 1740, où se déroule cette histoire, les rues de Londres étaient, le soir, pleines de filous et de filles. La dépravation des Londoniens était à son comble. Les fins repas anglais qui pouvaient durer quatre heures ne manquaient pas de se conclure par des parties fines qu'a narrées aussi Casanova dans ses mémoires, des parties qui furent souvent de véritables orgies. Quant à Cleland, l'auteur, il avait durant sa jeunesse, connu des prostituées qui, un masque sur le visage, parcouraient les rues de Londres en voiture à cheval et se montraient nues aux fenêtres. Il fréquenta les bals et errait volontiers dans les rues populeuses, observant les moeurs des citoyens. Plus tard, accablé de dettes, John Cleland fut emprisonné et c'est, pour se libérer, que sur la proposition d'un éditeur il écrivit les Mémoires de Fanny Hill, un ouvrage qui parut vers 1750.
C'est sous la forme de missives adressées à une dame que Fanny confesse ses aventures. Née de parents pauvres dans un petit village, Fanny se retrouva orpheline à l'âge de 15 ans et est secourue par une jeune femme. Esther Davis, c'est son nom, l'emmène à Londres avec elle afin de la placer dans une famille. Finalement elle se retrouve à la rue et est prise en main par une mère abbesse, Mistress Brown. Son éducation est confiée à Miss Phoebe qui l'invite dans sa chambre afin de la mieux connaître.
On devine la suite : « Ma gorge naissante, ferme et polie, irritant de plus en plus ses désirs, l'amusèrent un moment, puis Phoebe porta la main sur cette imperceptible trace, ce jeune et soyeux duvet éclos depuis quelques mois et qui promettait d'ombrager un jour le doux siège des plus délicieuses sensations, mais qui jusqu'alors avait été le séjour de la plus insensible innocence. » Et plus loin : « Pendant la chaleur de l'action, glissant ma main sous ma chemise, j'enflammai le point central de ma sensibilité et je tombai tout à coup dans cette délicieuse extase où la nature, accablée de plaisir, semble se confondre et s'anéantir. »
Plus tard, en privé, elle fait la connaissance de Charles, un jeune client novice dont elle tombe follement amoureuse : « Je lui donnai, pour le rassurer, deux ou trois petits coups sous le menton et lui demandai s'il avait peur des dames. En même temps je me saisis d'une de ses mains, que je serrai contre mes seins qui tressaillaient et s'élevaient comme s'ils eussent recherché ses attouchements. Ils étaient maintenant bien remplis et ferme en chair. Bientôt, tous les feux de la nature étincelèrent dans ses yeux ; ses joues s'enluminèrent du plus beau vermillon. La joie, le ravissement et la pudeur le rendirent muet ; mais la vivacité de ses regards et son émotion parlèrent assez pour m'apprendre que je n'avais pas perdu mon étalage ; mes lèvres, que je lui présentai de façon qu'il ne pût éviter de les baiser le fascinèrent, l'enflammèrent et l'enhardirent… C'était une scène bien douce pour moi de voir avec quels transports il me remerciait de l'avoir initié à de si agréables mystères. »
On admirera le style hautement métaphorique de Cleland pour aborder des phases qui pourrait mener à l'usage d'un langage banal et vulgaire lorsque Charles se remet de ses émotions et souhaite récidiver : « Son phénix étant ressuscité se percha au centre de la forêt enchantée qui décore de ses ombrages la régions des béatitudes. »
Dans une seconde lettre, la confession de Fanny se poursuit pour évoquer son nouveau statut : de prêtresse privée de Vénus elle devient fille publique et il allait falloir se perfectionner en conséquence pour aborder mille et une situations différentes. Elle prend demeure dans la maison de Miss Cole, une dame de maison très professionnelle : « Bref, c'était la maison galante de la ville la plus sûre, la mieux tenue et, en même temps, la plus confortable ; tout y était conduit de telle sorte que la décence ne gênât en rien les plaisirs les plus libertins, et, dans la pratique de ces plaisirs, les familiers de la maison d'élite avaient trouvé le secret si rare et si difficile de concilier les raffinements du goût et de la délicatesse avec les exercices de la sensualité la plus franche et la plus prononcée. »
Dans ce haut lieu de la sensualité, elle vit des expériences nouvelles, notamment des scènes où chacune des filles à tour de rôle doit se soumettre à la discrétion d'un amant et conjointement à celle de l'assemblée des copines. Quand vient son tour : « Je n'avais point abandonné tellement la pudeur naturelle, que je ne souffrisse une horrible confusion de me voir dans cet état ; mais la bande joyeuse m'entoura et, me comblant de mille politesses et de témoignages d'admiration, ne me donna pas le temps d'y réfléchir beaucoup ; j'étais trop orgueilleuse, d'ailleurs, d'avoir été honorée de l'approbation des connaisseurs. »
de toutes ces expériences, Fanny conclut avec philosophie qu'une fausse vertu (car il lui arrive d'en montrer à l'occasion quand elle refuse l'accès à l'antre des voluptés à un goujat !) est plus capable de résistance qu'une modestie réelle. Et aussi que lorsqu'une femme s'émancipe, il n'y a point de degrés dans la licence qu'elle ne soit capable de franchir pour atteindre le port de Cythère. Et enfin, la tempérance élève les hommes au dessus des passions, l'intempérance les y asservit.
Fanny a 19 ans lorsqu'elle quitte la vénérable Miss Cole. Elle est belle, elle est riche, car elle a hérité d'une de ses vieux clients pour qui elle avait quelques privautés. Et c'est alors que le hasard lui fait revoir son amour d'antan, Charles… :
« « Aussitôt que nous nous trouvâmes ensemble dans la chambre, laissés à nous-mêmes, la vue du lit qui me rappelait nos premiers plaisirs et la pensée que j'allais dans un instant le partager avec le cher possesseur de mon coeur vierge m'émurent si fortement que je fus obligé de m'appuyer sur Charles. (…) Mais à présent la vraie passion, la passion épurante, avait repris possession de moi, avec tout son cortège de symptômes: une douce sensibilité, une timidité tendre, des élans d'amour tempérés de réserve et de modestie. (…) En un mot, une véritable vierge en face du lit nuptial n'eût pas plus rougi dans son innocence que je ne le faisais dans le sentiment de ma culpabilité, et réellement j'aimais Charles avec trop de sincérité pour ne pas sentir amèrement que je ne le méritais pas. »

Un grand classique de la littérature érotique ! le personnage de Fanny Hill est en vérité inspiré d'une certaine Fanny Murray, prostituée de 17 ans qui était l'idole des aristocrates londoniens tant son zèle à l'ouvrage forçait l'admiration et la consacrait et de loin comme la meilleure ouvrière de toutes les maisons britanniques. John Cleland en a fait l'héroïne de son roman et sous sa plume, elle conte ses expériences depuis son arrivée dans Londres jusqu'à son initiation puis sa spécialisation dans les orgies les plus perverses et licencieuses. Elle n'hésite pas à délivrer des conseils sur la meilleure façon de procéder dans une maison de plaisir. Rappelons qu'il a fallu attendre 1963 pour que la publication en Grande Bretagne soit autorisée de ce texte considéré aujourd'hui comme le plus grand livre érotique anglais de l'âge d'or du libertinage.
En bref ce livre est magnifiquement écrit dans un style superbe, jamais vulgaire ni grossier et la lecture en est fort plaisante.
À noter que le texte de Cleland est précédé dans cette version Kindle d'une introduction de plus de 100 pages de Guillaume Apollinaire qui nous éclaire sur le fonctionnement des maisons de tolérance à Londres au XVIIIe siècle en se basant sur les célèbres écrits de Casanova.


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