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Critique de CDemassieux


Clemenceau est nommé pour la seconde fois de sa carrière politique à la présidence du Conseil en novembre 1917, à une heure où le pays est en pleine incertitude quant à l'issue de la guerre. Ainsi appelé à la rescousse par le Président de la République d'alors, Raymond Poincaré, il cumulera cette charge avec celle de ministre de la Guerre. Il deviendra alors le Père la Victoire.

Dans le présent texte, rédigé une dizaine d'années après la fin du conflit, Clemenceau raconte son expérience avec ce ton incisif qui lui était si familier et que redoutaient ses adversaires. Ses analyses, que certains jugeront parfois excessives, n'en sont pas moins vraies au moment où il écrit : « Quelle différence des états d'âme de l'un et de l'autre côté du Rhin ! En Allemagne, tous les excès d'autorité pour machiner l'homme en vue de la plus violente offensive. Chez nous, toutes les dissociations de l'indolence, et le repos sur de grands mots. »

Documents à l'appui, Clemenceau montre l'ampleur de la tâche qui lui incomba et les difficultés rencontrées, notamment auprès des Américains qui tardaient à envoyer leurs unités sur le front pour soulager Français et Anglais épuisés par bientôt quatre années de guerre : « En d'autres termes, je voulais trop, prétendaient-ils, à quoi je répondais qu'ils ne voulaient pas assez. »

Puis vient l'armistice : « Un beau mot, un grand mot à écrire quand on a vécu quatre ans dans les tortures, dans l'angoisse du pire, et qu'une voix se fait entendre pour clamer : c'est fini ! » En 1919, la Conférence de la Paix à Versailles succédera à l'armistice, suivie du Traité honni par les Allemands – désigné par leurs soins comme un « diktat » – ; Traité auquel Clemenceau prendra une part majeure, lui qui exigeait réparation pour l'agression allemande. On lui imputera d'ailleurs son intransigeance, tout comme son refus d'une paix blanche (sans vainqueur) avant l'Armistice.
Mais n'avait-il pas raison de vouloir contenir l'Allemagne : « Je dus comprendre que la révolution allemande était d'une simple disposition de draperies et que, l'agresseur de 1914 demeurant ferme dans ses extravagances de fureurs, nous ne cesserions de subir, dans de nouveaux décors, sans arrêt, le même assaut du même ennemi » ?

En effet, dans ces pages, en plus de régler ses comptes avec un Foch ingrat et Poincaré, le désormais vieux Tigre se défie de l'Allemagne et de son bellicisme. L'avenir lui donnera raison, lui qui, dans les dernières années de sa vie, déplorait les accommodements trop nombreux avec ce pays : « le Traité de Versailles ne se défendra peut-être pas trop mal dans l'histoire, surtout si l'on ne s'abstient pas de faire le compte des concessions ultérieures dont les virtuosités du laisser-faire ont permis aux vaincus de tirer avantage, grâce à l'appui de nos anciens alliés. »

Le pacifisme d'Aristide Briand (« chef d'orchestre du défaitisme français ») en prend lui aussi pour son grade. Il ne manque pas non plus de pointer les défections des alliés d'hier – États-Unis et Angleterre – qui ont allègrement mutilé le Traité de Versailles, tant sur le plan des réparations économiques que de la sécurité militaire pour la France. Clemenceau reproche d'ailleurs vertement à l'Amérique de se perdre dans des comptes d'apothicaire : « L'Amérique ne songe même pas à s'excuser de se lancer dans une exploitation financière de l'Europe en manière de colonie économique. »

L'Allemagne encore et son sentiment de supériorité civilisationnelle qui fera, vingt plus tard, des dégâts encore plus considérables. Clemenceau parle « d'implacables doctrinaires de la tuerie civilisée ». Il ne croyait pas si bien dire. Mais : « Sauf les Allemands, les peuples étaient fatigués de se haïr, escomptant même le bénéfice d'un renouveau d'amitiés épuisées. » Cet épuisement, ce refus d'une autre guerre ont conduit aux « mutilations du Traité de Versailles » que dénonce Clemenceau, comme ils ont conduit au pacifisme forcené d'un Jean Giono, par exemple – ce qui lui sera grandement et stupidement reproché à la Libération. de l'autre côté du Rhin, l'Allemagne, contre sa parole et le Traité, réarmait à marche forcée.

Clemenceau énonce aussi des fautes politiques qui coûteront cher au peuple français : « Depuis dix ans, ses dirigeants l'ont si bien chloroformé, lui ont si souvent répété que personne ne voulait plus de guerre et que, par conséquent, il n'y en aurait plus, qu'il a fini par le croire. » Car Clemenceau ne transige pas avec la France, celle qu'il déclare – à tort selon moi – forcément héritière de 1789.

Enfin, dans ce livre, Clemenceau aura, selon lui, « essayé de remettre la vérité en selle. Il ne m'appartient plus de dire où son coursier la conduira. » Puis, un jour de novembre 1929, il s'éteindra, un peu moins de dix ans avant ce qu'il avait en quelque sorte prédit.

Et quelles que soient les opinions de chacun, ce document est de la main d'un géant de l'Histoire…
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