« Mes cheveux étaient un anachronisme dans ma vie. Chaque mèche qui tombait me rapprochait de ma fibre. Chaque coup de ciseau dévoilait un être différent. Plus droit, plus intègre et fou de rage. Je n'avais jamais été un vrai pacifiste. J'appartenais plutôt au clan des enragés. Ceux qui n'acceptent pas de diluer l'intégrité, qui refusent les compromis sur l'essentiel et dont la vie est irrémédiablement marquée par un besoin d'absolu.
Un tout autre être se préparait à émerger. Un être affranchi de la servitude et des croyances de la majorité, sans détour et sans concession pour les imbéciles. J'allais enfin laisser ma haine s'exprimer. Cette haine refoulée si longtemps. Ce mépris des conventions et de tout ce que je voyais. Ce dégoût coincé dans l'aorte qui m'avait affaibli pendant tant d'années. J'étais en train de me faire écorcher vif. Ce qui allait rester de moi, c'est un être au faîte de sa souffrance, prêt à accepter le mal et, surtout, à le partager.
Quand ce fut fini, je passai ma main sur ma tête et sentis des trous ici et là. Mon côté gauche était rasé à la peau. J'allai à la salle de bain et m'observai dans le miroir. Ça me changeait du tout au tout. Ma tête avait maintenant la même largeur que mon cou. J'avais l'air d'un projectile prêt à éclater en pleine face des citoyens. Le décompte avant la mise à feu avait débuté. » [p 25-26]