AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nastasia-B


Jean Cocteau nous propose sa lecture du mythe d'Oedipe au travers de cette réécriture contemporaine. Il injecte dans la tragédie antique une bonne dose de comédie moderne mais ce qui n'en fait pas pour autant une comédie, disons simplement une tragi-comédie en quatre actes.

La trame est connue, archiconnue : le roi de Thèbes, Laïus et son épouse Jocaste ont eu un fils, Oedipe. Un oracle prédit que ce dernier tuera son père et épousera sa mère. Afin de déjouer la prophétie, Jocaste abandonne son fils sur un mont isolé, voué à une mort certaine. Mais un berger le recueille et porte l'enfant auprès du couple royal de Corinthe, qui va l'adopter et en faire un prince. En grandissant, Oedipe est mis au courant de la prophétie et décide de quitter Corinthe afin qu'elle ne s'exécute pas. Il n'est bien sûr pas conscient qu'il n'est pas le fils de sang du vieux couple. En chemin, il tue accidentellement un vieil homme qui n'est autre que Laïus. Averti du mal qui pèse sur la ville de Thèbes et représenté par la Sphinx (sorte de démon femelle), il décide de se mesurer à elle et de l'éradiquer. La prix de ce bienfait est la main de la belle reine veuve, Jocaste…

Jean Cocteau examine ce mythe non tant sous la férule des dieux mais sous le sceau du destin, d'où son titre, La Machine Infernale. En somme, quoi qu'on fasse pour échapper à son destin, notre marge de manoeuvre est faible ou vaine, ou les deux. du coup, j'y perçois un message qui n'est sans doute pas si différent de celui d'un Milan Kundera dans L'Insoutenable Légèreté de L'Être ou encore d'un Léon Tolstoï dans La Guerre Et La Paix.

Dit crument, cela donne : « Vous vous démenez, vous vous échinez pour influer sur le cours de votre existence et vous avez parfois la sensation d'y parvenir. Mais vous ne parvenez à rien du tout, si ce n'est à votre trou et dans des souffrances atroces. » Vu avec un regard optimiste, on pourrait cependant penser qu'au moins, pendant dix-sept ans, Oedipe a fait ce qu'il a voulu et qu'il a même tutoyé un sentiment qui était peut-être proche du bonheur. À voir…

Ce qui, personnellement m'a beaucoup plu dans cette pièce, outre la plume alerte de Jean Cocteau que je ne connaissais pas et que je découvre avec plaisir, c'est le personnage du Sphinx. Ce Sphinx qui peut représenter plein de choses et dans lequel chaque spectateur peut y percevoir à la fois son propre vécu et le démon personnel qui l'habite. Pour certains ce sera la guerre, pour d'autres la maladie, pour d'autres encore le malheur ou la malchance ou même la pauvreté.

Bref, ce Sphinx qui symbolise tout ce qu'on peut imaginer de douleur et de ressentiment est présenté, non comme une entité négligeable, car le mal vécu et ressenti est bien réel, mais comme un mal sur lequel on aime à faire peser d'autres maux que ceux qu'il inflige vraiment. Cette pièce a été écrite bien avant la Seconde guerre mondiale mais je n'ai pu m'empêcher d'y voir une sorte d'allégorie de la guerre.

En somme, la guerre est source de tous nos maux, c'est elle la vraie coupable. Mais il n'empêche qu'à y regarder de près, beaucoup des souffrances vécues ou infligées par les malheureux bougres étaient peut-être dues non pas à la guerre en tant que telle, mais au comportement délétère d'autres malheureux bougres. Exemple : on vous impose une guerre, avec son lot d'atrocités et de barbaries ; on vit des heures graves où la solidarité serait de mise et… et non. Certains essayent encore de se faire du beurre sur votre dos, c'est du marché noir, c'est de la magouille, c'est de l'entourloupe, c'est de la médisance, c'est de la délation. Comme si la guerre n'était pas, en soi, un mal suffisant, il faut que monsieur tout-le-monde en rajoute à sa façon.

C'est en tout cas comme ceci que j'interprète le passage de la matrone et du Sphinx à l'acte II. Un grand beau moment de théâtre selon mes critères d'appréciation. Pour le reste, une pièce solide, plaisante, où l'auteur a su habilement alléger le poids du tragique par des notes d'humour à la fois nombreuses et bien senties. Si j'avais un petit reproche à lui faire, c'est que je la trouve peut-être un peu statique, même si on peut, j'imagine, envisager tous les mouvements de scène qui soient, l'essentiel se produit sous forme de dialogue arrêté entre deux personnages, voire, de quasi monologue.

Mais ceci n'obère en rien l'impression générale positive que m'a procurée cette pièce et je vous prie de vous souvenir que ce n'est que l'expression d'un seul avis, qui n'a rien d'une machine infernale, c'est-à-dire, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          1191



Ont apprécié cette critique (92)voir plus




{* *}