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Critique de benifabs


Paolo Cognetti connait très bien la montagne, on sent du vécu dans son magnifique roman. J'ai eu rapidement l'impression de me trouver dans un texte de Marcel Pagnol comme « la gloire de mon père » où les descriptions de sa vie avec son père sont si belles.
« Je commençai à apprendre la façon qu'avait mon père d'aller en montagne- ce que j'ai reçu de lui qui se rapproche le plus d'une éducation…………..Mon père prenait un café dans le premier bar ouvert……..Le parcours démarrait derrière une église ou après un petit pont de bois……….Sur le sentier mon père me laissait marcher devant…… » (Page 49)
Deux périodes de la vie de Pietro sont évoquées :
Sa jeunesse : Il vit en ville à Milan. Il a une douzaine d'années quand ses parents passionnés par la montagne lui font découvrir un village Grana dans la Val d'Aoste. Dans ce petit village il va nouer une profonde amitié avec un des rares enfants de son âge. Bruno va lui faire découvrir sa montagne et l'entraîner sur des terrains de jeux et d'aventures nouveaux pour un citadin. Son père Gianni partait tous les jours vers les sommets mais lui n'aimait pas marcher si haut :
« Peut-être ma mère avait-elle raison, chacun en montagne a une altitude de prédilection, un paysage qui lui ressemble et dans lequel il se sent bien. La sienne était décidément la forêt des mille cinq cents mètres, celle des sapins et des mélèzes………..Moi j'étais plus attiré par la montagne qui venait après : prairie alpine, torrents tourbières, herbes de haute altitude, bêtes en pâture. Plus haut encore la végétation disparaît, la neige recouvre tout jusqu'à l'été et la couleur dominante reste le gris de la roche veiné de quartz et tissé du jaune des lichens. C'est là que commençait le monde de mon père. » (Page 54)
Durant quatre ans tous les étés Pietro et Bruno se retrouvent mais vont se perdre de vue pendant une quinzaine d'années.
Pendant cette période, chacun d'eux va avoir une vie différente, une vie d'études et de voyage pour Pietro et une vie de montagnard accroché à sa terre pour Bruno.
La deuxième partie évoquera leurs retrouvailles et leur amitié indéfectible. Pietro aura quelques regrets :
« Je commençais à comprendre ce qui arrive à quelqu'un qui s'en va : les autres continuent de vivre sans lui. J'imaginais les soirées qu'ils passaient tous les trois, quand Bruno avait vingt, vingt-cinq ans, et qu'il se tenait là, à ma place, à discuter avec mon père. Il en aurait été autrement si j'étais resté, ou peut-être aurions-nous partagé ces instants ; le regret de ne pas avoir été avec eux l'emportait sur la jalousie. J'avais l'impression d'être passé à côté du plus important, pendant que je me consacrais à d'autres choses si futiles que je n'aurais même pas su dire ce que c'était. » (Page 162)
Je connais la montagne, y habitant régulièrement, mais Paolo Cognetti m'a appris beaucoup de choses à ce sujet. le livre regorge de détails sur la dure vie du montagnard à cause des aléas du temps et de l'isolement. La vie des exploitations de troupeaux est très bien documentée. Lors des voyages de Pietro au Népal il peut constater que la vie montagnarde est restée à l'état ancestral qu'il a connu dans sa jeunesse :
« J'avais l'impression d'avoir retrouvé vivante la civilisation de montagnards qui, chez nous, s'était éteinte. » (Page 216)
Pourquoi ce titre « les huit montagnes » ? Il renvoie à une histoire racontée par un vieux porteur Népalais qui trace un dessin pour Piero dans la vallée de l'Everest. Un dessin en forme de mandala représentant une roue dont les huit rayons (montagnes) séparent les mers. le centre est occupé par le plus haut sommet, celui du Sumeru.
« Lequel des deux aura le plus appris ? Celui qui aura fait le tour des huit montagnes, ou celui qui sera arrivé au sommet du mont Sumeru ? » P 207
Les trajets respectifs de Pietro et Bruno sont comparés à cette conception du Mandala.
La montagne est magnifiée par Paolo Cognetti, c'est elle qui apprend à vivre :
« Je commençai alors à comprendre que tout, pour un poisson d'eau douce, vient de l'amont : insectes, branches, feuilles, n'importe quoi. C'est ce qui le pousse à regarder vers le haut : il attend de voir ce qui doit arriver. Si l'endroit où tu te baignes dans un fleuve correspond au présent, pensais-je, dans ce cas l'eau qui t'a dépassé, qui continue plus bas et va là où il n'y a plus rien pour toi, c'est le passé. L'avenir, c'est l'eau qui vient d'en haut, avec son lot de dangers et de découvertes. le passé est en aval, l'avenir en amont. » (Page 40)
Les mots en montagne ne sont pas des abstractions : « Et il disait : c'est bien un mot de la ville, ça, la nature. Vous en avez une idée si abstraite que même son nom l'est. Nous, ici, on parle de bois, de pré, de torrent, de roche. Autant de choses qu'on peut montrer du doigt. Qu'on peut utiliser. Les choses qu'on ne peut pas utiliser, nous, on ne s'embête pas à leur chercher un nom, parce qu'elles ne servent à rien. » (Page 210)
Paolo Cognetti utilise la richesse de sa langue avec un style littéraire précis qui désigne le monde de la montagne au travers d'une écriture poétique d'une grande puissance, évoquant admirablement la vie de montagne que les citadins ne connaissent plus. La description de la flore et la faune donne l'impression de visualiser un film, mais je crois que Paolo Cognetti a une formation de cinéaste. Son écriture poétique d'une grande puissance évoque admirablement le monde montagnard.
J'ai trouvé ce livre d'une grande fraîcheur avec une relation d'amitié émouvante et un amour tardif entre un fils et son père qui n'a pas eu les mots qu'il fallait de son vivant, mais a su laisser un bel héritage à son fils : l'amour de la montagne.
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