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Critique de HordeDuContrevent


Coup de coeur pour ce récit maritime aux allures de conte servi dans une langue tout à fait étonnante, totalement créative, inventive, empruntant à l'argot, aux récits maritimes classiques, à la technique marine, aux expressions que l'auteur tord et déforme à sa guise, aux néologismes surprenants. Cette lecture est une vague rafraichissante et romanesque qui sort des courants battus. J'en suis encore sonnée et éblouie, les orbites en cale sèche à les maintenir grandes ouvertes tant mon admiration fut immense : comment Sylvain Coher a-t-il pu imaginer et écrire tout un livre de la sorte, avec cette plume si singulière, et faire de son livre une magnifique aventure de littérature ? Chaque phrase, lue à voix haute pour ma part, m'a donné l'impression d'une perle trouvée dans une huitre tant chacune d'elles est taillée au cordeau, irisée, subtile, élégante et imprévue. C'est à la fois drôle et poétique, cru et éclatant, suranné et ultra-moderne…

« Nos femelles pissent debout comme les mâles et, comme eux, elles deviennent plus grêles et plus courbes que des clous de taquier. Leurs mouflets sont les gniards de tous, faut avouer que personne à bord s'ennuie assez pour compter les bâtards – à quoi bon, corbleu, puisqu'ils s'éclipsent sans arrêt, le cul à l'air et la morve au pif. Une marmaille chétive élevée au lait de baleine, au bouillon d'algues, au sperme de morue, au sang des sardines que les daronnes égorgent à l'aplomb des becs entrouverts. le goutte-à-goutte fait rougir les babines, il dégouline en sinuant sur les bedons maigrichons, pouah, le Ghost fait le frai et les gosses poussent comme ils peuvent, selon les aléas de la bonne étoile. Chaque nuit qui vient est un anniversaire de plus et nos béquillards ont parfois tout juste la voix qui mue ».

Dans un futur impossible à situer, lointain disons, la mer recouvre désormais toutes les terres depuis l'avènement de « l'Inondoir » durant lequel « toute la flotte contenue dans la terre s'est retrouvée d'un coup sur la terre ». Quelques rares ilots subsistent où vivent les derniers « culs-terreux », des « Pousse-caillloux » désireux de garder jalousement ces derniers arpents de terre, éloignant avec violence toute tentative d'abordage de cette masse grouillante de marins, de claque-dent, de matafs, de Sang-salés, qui survivent comme ils peuvent sur leurs rafiots moisis. Les relations entre Marins, nombreux, et rares Terriens sont très conflictuelles. Précisément tout l'équipage du Ghost a été fait prisonnier par des Terriens et un marin, Blaquet, raconte comment et pourquoi ils sont arrivés ainsi proches des côtes interdites.

Soliloque haut en couleur et courageux dans lequel nous suivons l'histoire d'un jeune marin d'une quinzaine d'années, Petit Roux, qui s'oppose au reste de l'équipage. Sa mère, Câline vient de mourir et, comme avec tous les macchabées, l'équipage désire fissa la manger. Petit Roux défend le corps maternel au péril de sa vie, il lui a fait la promesse de trouver un îlot pour pouvoir l'enterrer dignement, promesse véritable prouesse car il faut alors braver les lois et trahir les siens pour s'approcher de ce jardin interdit et fantasmé. Il s'enfuit avec le cadavre, désormais seul sur les eaux tumultueuses. Et c'est son Odyssée qui est racontée, ses différents périples pour trouver des vivres, changer d'embarcation, embaumer le corps le temps de trouver enfin la terre promise, déjouant la foudre des éléments et la fureur des hommes rencontrés sur son chemin. le Ghost le suivait au loin, voulant punir le fuyard. Ainsi s'est-il retrouvé près des côtes.

Différents sentiments nous assaillent lors de cette lecture. Au-delà du style qui accapare notre attention et qui demande un temps d'adaptation, ce livre nous émeut de par le sentiment de ce gamin pour sa mère qui reste une vraie reine même morte, la relation est pure et magnifique, cette façon qu'a l'enfant de prendre soin d'elle et de l'aider à traverser Le Styx parle au coeur de tout parent.

« Il repousse délicatement le corps de Câline, comme s'il s'excusait du dérangement pour aller pisser par-dessus bord. C'est qu'elle est lourde, foutrebleu, la bidoche est plus dure que le bois qu'on ratisse dans l'écume. Quel fils porte sa mère, l'oeuf ou l'esturgeon ? Et comment oublier la moiteur des étreintes, la volupté des caresses, les sanglots versés aux creux des clavicules ? Comment effacer les ritournelles, soufflées si doucement qu'elles gainaient la flamme au bout de la chandelle ? Passons. Petit Roux la porte à présent, sa reine, il la hisse, la traîne et se redresse pour scruter les coursives. Sa mission est un défi, une bravade à deux algues ».

Dans un second temps, il fait réfléchir, car derrière l'aventure il permet d'imaginer très concrètement quelle pourrait être notre vie, au-delà de l'urgence des enjeux climatiques et la menace de la montée des eaux dont on entend parler à longueur de journée... Oui, certes, nous imaginons les inondations à répétition, les terres ensevelies, oui mais après, bien après ? En poussant le curseur bien loin, ce serait quoi la vie, notamment pour celles et ceux n'ayant pu trouver refuge sur terre ? Ici, comme la référence à la Genèse dans le livre le suggère, le cataclysme diluvien retrouve sa force symbolique intacte. C'est une façon de soulever le voile et de découvrir un monde où la nature seule décide de l'avenir des hommes, un monde sans arbres, sans fleur, sans graine. Sans rivage, sans bord, sans lisière. Juste une étendue d'eau, imaginez. « Un tiers de flotte, deux tiers de ciel »…Un monde gorgé d'eau inhospitalière. Et Sylvain Coher d'imaginer les conditions de vie, la nourriture, la promiscuité, la sauvagerie mais aussi la faune, les vents et les courants de ce monde de l'après. Quelques vestiges de l'ancien monde flottent encore, du plastique notamment qui mettra encore des décennies, voire des siècles, à disparaitre.


Un récit tout droit sortir des flots, et nous lecteur de ressortir de cette lecture le coeur au bord des lèvres, émus et avec une étrange sensation de vertige et de malaise. Chapeau bas Sylvain Coher pour ce texte qui a infusé en moi telles des algues aux racines micellaires prenant possession de mon être. Inoubliable récit, indispensable récit !

« Il faut rendre l'esprit semblable à l'eau, nous inculquait l'Empereur, car l'eau prend toujours la forme des récipients, ronds ou carrés, qui la contiennent ».

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