AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Étraves (11)

Nos femelles pissent debout comme les mâles et, comme eux, elles deviennent plus grêles et plus courbes que des clous de taquier. Leurs mouflets sont les gniards de tous, faut avouer que personne à bord s’ennuie assez pour compter les bâtards – à quoi bon, corbleu, puisqu’ils s’éclipsent sans arrêt, le cul à l’air et la morve au pif. Une marmaille chétive élevée au lait de baleine, au bouillon d’algues, au sperme de morue, au sang des sardines que les daronnes égorgent à l’aplomb des becs entrouverts. Le goutte-à-goutte fait rougir les babines, il dégouline en sinuant sur les bedons maigrichons, pouah, le Ghost fait le frai et les gosses poussent comme ils peuvent, selon les aléas de la bonne étoile. Chaque nuit qui vient est un anniversaire de plus et nos béquillards ont parfois tout juste la voix qui mue
Commenter  J’apprécie          327
Ça fait un bail que la Mer-océane a brisé ses chaînes et, depuis lors, Mirovia s'épanche pire qu'une larme sur l'ongle d'un pouce. Vous autres, Pousse-cailloux, vous avez crapahuté en catastrophe sur vos abris côtiers en nous abandonnant ce qui barbotait à l'entour. Et pour peu que le niveau grimpe encore, croyez-moi, pour rien au monde je troquerai le Ghost contre un cadastre de quatre sous.
Quant à savoir pourquoi toute la flotte contenue dans la terre s'est retrouvée d'un coup sur la terre, ça reste un sacré mystère et chacun y va de sa marotte, de son crobard et de ses aïeux.
C'est comme ça depuis que la coquille s'est craquelée, depuis qu'elle a rendu les eaux, la garce rincée par les cataractes. Depuis qu'elle s'est laissée submerger, anéantir en moins de deux, noyer sous le poids des fluides qu'elle couvait comme une cloque trop tendue, un abcès à solder. D'une portée à l'autre, on se refait l'histoire comme si on en était encore à se demander où ça montera. On échafaude, on brode en point de bouclette pour se punir comme on peut et quand on disserte de l'Inondoir, les ceusses qui geignaient se mettent à branler du chef comme les otaries des eaux froides. Orphelins flottants, on cultive les hypothèses et la repentance. On vaut moins que rien et pire que tout – rarement mieux.
Commenter  J’apprécie          250
Le joli mot viande aiguillonne le gosier mieux qu'une toux sans glaires et le joli mot viande génère un vrai tourbillon de salive qu'on déglutit en petits glaviots mous. Faut bien se faire les bajoues, tenez, car depuis la dernière sucée, depuis la première perle carminée volée au téton maternel, on pense plus qu'à ça. La vider proprement des viscères puants et bien faire sécher la viande, selon la procédure ad hoc, embosser le sang fouetté dans un boyau rincé à l'eau salée et puis racler le cuir, les élastiques nerveux et le gras inutile, découper des lanières assez fines, les couvrir de sel et les offrir au vent-brûlant pour que le maigre puisse durer ce qu'il faut. De fins festons qu'on laisse fondre sous la glotte, en plissant les paupières.
Un vrai frisson d'extase.
Commenter  J’apprécie          258
Petit Roux s'accroche à l'esquif en tenant son cap au cordeau, en s'appliquant à faire passer par-derrière ce qui vient par-devant. Il devine les prémisses du cordon brumeux, la rognure d'ongle arquée vers l'est et les bigleux peinent à mettre les gris dans le bon ordre. Gris céleste ou gris maritime, c'est moitié-moitié mais à partir d'où ? L'horizon est sapé d'un suaire plus cradingue que les serpillières qui nous saucissonnent aux banettes des dortoirs.
Voici la mer, enfin, vive et vaste de tous bords, récite Petit Roux en lyrisant bizarrement. Voici la mer où remuent, innombrables, des animaux petits et grands, déclame-t-il encore, alors qu'un premier splach retenti au droit de l'étrave.
Commenter  J’apprécie          240
On s'observe sous cape, la pupille posée sur l’œilleton ou plantée dans les cernes en coussins de bourre que les cils époussettent. On jurerait qu'on va bondir alors qu'on reste parfaitement immobiles et la brise soulève les haillons de nos râbles, mamelles amollies, ombilics noirs comme des culs, tattoos fanés et cicatrices ourlées au crin épais - et je vous passe les ecchymoses sur nos galuchats de maquereaux.
Faut faire avec puisque la mer nous cuivre, puisqu'elle boucane nos guenilles au compte-gouttes et puisque la fleur de poisse s'épanouit tandis qu'on pourrit de la tige, nous autres, dans notre vase trop rempli.
Commenter  J’apprécie          246
Les anatifes sont des crustacés, des pouces-pieds pour faire vite, des sortes de verges malingres qui fructifient sur tout ce qui flotte, depuis les carènes jusqu’aux déchets errants. Cassandre nous a chanté mille fois leur histoire, elle prétend que les piafs du ciel, privés de terre après l’Inondoir, ont formé les anatifes en mourant d’épuisement. Et Cassandre prophétise que ce seront eux qui accoucheront un jour des oiseaux qui repeupleront le ciel – des bobards pour mômillons, tenez, les vieux contes aiment les jolies boucles où tout ce qui périt rebelote forcément.
On y croit dur comme fer.
Commenter  J’apprécie          193
Ce tribunal cachottier est une vraie mascarade, et vos questions retorses et vos devinettes perverses feront jamais ni le début ni la fin de l'histoire qui vient. Vous en savez déjà bien assez, bien plus que vous devriez en savoir. Allez dire que non, ma parole, allez dire que le coq Blaquet vous balade, qu'il vous donne point en plaidoyer, tout ce que vous rêviez d'entendre. J'attends. Je savoure déjà la babiole, l'abattage et la bobinette, comme dirait l'autre. C'est que je suis loin d'avoir germé hier, voyez-vous, je suis votre as percé, le dernier brelandier du Ghost. Je connais votre jeu et vous voulez voir le mien - c'est de bonne guerre, disons, c'est le prix que je dois payer pour gagner encore quelques plombes à vivre en attendant le pire que vous m'avez concocté.
Donnant donnant.
Cartes sur table.
(Incipit)
Commenter  J’apprécie          110
Si seulement Câline pouvait revenir paisiblement à l’état de polype, tout serait bien différent. C’est elle qui lui contait la magie des immortelles, quand il était marmot. À travers le filet du hamac, la voix soyeuse murmurait que les méduses pouvaient mourir puis revivre tant qu’elles le voulaient. Elles blastèment, comment dire, elles rénovent leurs cellules abîmées de fond en comble, comme les planaires hermaphrodites. Les immortelles font renaître l’ensemble par un bout minuscule, chuchotait Câline en mimant des sortes d’anémones spongieuses. Nulle lame pourrait les vaincre, les gourgandines, elles se régénèrent de mémoire, elles reprisent le tissu manquant et rapiècent les accrocs sans compter.
Commenter  J’apprécie          32
Les allonges de l’Empereur retombent et le reste suit morceau par morceau. Faut vouloir vivre et faut savoir mourir, brame-t-il en aparté, nous sommes les fruits de la mer et pourtant nous becquetons la poiscaille – la boucle est bien nouée.
La viande morte s’interdit de geindre en calinotades, la bidoche aura jamais ni visage ni sépulcre, non, d’abord c’est goûteux, parbleu, mais après ça cocotte pire qu’une calotte de tortue au cagnard. Ce que tu as perdu, nul te le rendra. La garce est cannée, bientôt elle va gonfler en baudruche et pourrir de partout, et ce sera gâcher le frichti puisqu’elle servira plus à personne.
Il marque une pause, le bosco du Ghost. Il sait qu’il suffirait d’un mot pour qu’on déferle au taïaut sur le gosse. L’incident serait clos, on pourrait enfin passer à autre chose.
Mais l’Empereur savoure son baratin comme une bouchée d’épaule confite, il rognonne, dégoise en fine gueule et catéchise en trémolant sur la mer sainte qui nous supporte depuis si longtemps. Nous sommes seuls contre les démons inondeurs et quoi qu’on dise, leur cruauté reste sans égale. Les ceusses qui ont fait grimper la flotte jusqu’au ciel voulaient guère qu’on survive, pardi, ni branchies ni nageoires pour nous autres, saumons solubles dans la saumure. On nous a retiré la viande ? Eh bien nous la fabriquons nous-mêmes et d’où qu’elle vienne, foutrebleu, nous l’engloutirons.
Demande un peu aux crabes.
S’ils font les difficiles.
Commenter  J’apprécie          00
Dès lors, c’est le statu quo à bord du vieux cargo mâté. Avec le crépuscule qui rabougrit le gamin sous sa parka en pur cuir de morse, corseté dans les lambeaux du boléro. Avec le Ghost qui dandine pire qu’une épave livrée au bon vouloir des flots. Avec mes faitouts qui farnientent et surtout mon feu qui faiblit, faute de l’affourager comme il faut. On laisse échoir sans pousser, après tout les choses vont comme elles veulent.
Après l’esclandre et la bousculade qui nous ont conduits vers la pointe du cargo, le cadran paraît figé pour de bon. Elle est cannée Câline, okay. Et après, on fait quoi ? On s’observe sous cape, la pupille posée sur l’œilleton ou plantée dans les cernes en coussins de bourre que les cils époussettent. On jurerait qu’on va bondir alors qu’on reste parfaitement immobiles et la brise soulève les haillons pour exhiber nos membres blafards, les râteliers de nos râbles, mamelles amollies, ombilics noirs comme des culs, tattoos fanés et cicatrices ourlées au crin épais – et je vous passe les ecchymoses sur nos galuchats de maquereaux.
Faut faire avec puisque la mer nous cuivre, puisqu’elle boucane nos guenilles au compte-gouttes et puisque la fleur de poisse s’épanouit tandis qu’on pourrit de la tige, nous autres, dans notre vase trop rempli.
La Loi Nouvelle permet à quiconque d’être nu, mais on couvre nos carnes pour ralentir les pronostics car nos bobos racontent les scories de nos vies mieux que les livres de bord.
On fait illusion sans trop y croire.
Toujours un flambard pour se vanter, toujours un fanfaron pour mythonner ses stigmates à la cantonade – regarde mon gars, le trou que tu reluques, c’est un coup de surin sur la dunette du ferry Musica. Vise un peu l’évent, pire qu’une dent de narval, j’peux encore glisser l’pouce dedans. D’la rouille et des glaires, c’est ça qui gerbait en geyser, une vraie fontaine de fèces…
On laisse dire, pardi, personne s’en lasse et si nos bobards devenaient des îles, on aurait toujours les pattes au sec. Les carottes et les salades, c’est guère mangeable mais ça feinte facilement la boyauterie vide.
Nos mensonges sont nos refuges.
Des baies paradisiaques.

Chauves ou chevelus, on se vaut tous peu ou prou, sans compter les teigneux qui se tailladent le crin pour effaroucher les minots dans l’obscurité des coursives. Seules les barbiches nous distinguent des femelles, dont les trognes sont tannées mêmement par le sel, la réverbération des interminables cycles de mer et les radiations des eaux sales qui voguent avec les algues invasives. On copie les planctons et les protistes, on resquille nos miettes entre les zones mortes et on mute ou on s’adapte comme on peut – on est plus vraiment à ça près.
La survivance, c’est juste un cache-cache perdant, le jeu idiot qui fait passer les plombes mieux que les dés ou les dominos.
Le cœur d’un homme est dans sa tête, bramait l’Empereur pour galvaniser les pétochards et coup-de-latter les tire-au-cul. On est rodés au mal de vivre, attendu que les eaux impures nous abreuvent de sinistres sillons et qu’on les dégorge par tous les pores. La chantepleure charrie des eaux tritiées au strontium, cobalt et iode, américium, césium ou carbone 14 – vous connaissez la partition des philharmonies leucémiques. Avec en bonus les déchets terrigènes qui écument sans vergogne le Pays-de-Mer. Et les coups, les carences et les privations nous refont le portrait pendant que le scorbut se charge des chicots, de la dentine, des gencives rongées à l’acide.
La pêcherie nous empoisonne à petit feu mais nous en déplaise, on chérit le petit plus de gras et de protéines. Sans le jus précieux des citrons qu’on récolte, ma parole, on serait tous clamsés depuis une paye. Sans agrumes, la gale guette, le typhus triomphe, la phtisie rapplique au taïaut, la dysenterie déshydrate, les fièvres nous infectent et les maladies putrides prolifèrent.
On a les tronches qu’on mérite.
On regarde juste la mise avant de piocher les cartes.
Commenter  J’apprécie          00







    Lecteurs (126) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Les plus grands classiques de la science-fiction

    Qui a écrit 1984

    George Orwell
    Aldous Huxley
    H.G. Wells
    Pierre Boulle

    10 questions
    4899 lecteurs ont répondu
    Thèmes : science-fictionCréer un quiz sur ce livre

    {* *}