Les étoiles brilleront dimanche

Pour Jordan, fou amoureux d’elle depuis toujours, le plan était simple : il lui suffisait de finir sur le podium chaque dimanche pour conquérir la belle. Car, comme les courses du dimanche ne comptaient pas légions de jeunes filles en fleur, Stella était systématiquement réquisitionnée pour jouer le rôle de la miss qui avait l’honneur de remettre la gerbe au vainqueur sur le podium. Réfractaire à cet honneur parmi les honneurs les premières fois, elle avait pris goût à ce privilège qui distinguait sa beauté des rares autres jeunes adolescentes présentes. Un dimanche, elle s’était surprise à croiser les doigts pour que Jordan arrive en tête et, comme le week-end précédent, pouvoir lui faire la bise... Course après course, podium protocolaire après podium protocolaire, bise après bise, les remparts de sa citadelle de réserves et de doutes avaient fini par s’effondrer devant les attaques de ce barbare de coursier le jour où ils s’étaient embrassés pour la première fois derrière la remorque du tracteur qui faisait office de podium. Depuis ce baiser champêtre, Jordan et Stella filaient le parfait amour, unis pour le meilleur et le pire sous le ciel des dimanches de course.

Cette exclusivité qu’il impose sur sa vie, sur celle de tous les coureurs, Loïc l’attribue à l’essence même de son sport. Le cyclisme est une véritable religion : il y a ceux qui y croit et ceux qui n’y croient pas. Y croire, c’est accepter le sens qu’il donne à votre vie ; tout apparaît comme évidence à la lumière de cette révélation. Les difficultés et les peines du quotidien deviennent des côtes, des crevaisons, des pignons mal ajustés, des vents de face ou de côté... Les joies quant à elles s’incarnent dans les pentes, les échappées, les ravitaillements à point nommé, les sprints victorieux... Symbolique mystique de la pédale, évangile d’une idole à deux roues. Ne pas y croire, et tout vous paraît aussi absurde qu’un conte de fée... Depuis longtemps, Loïc a compris que l’on ne peut comprendre le cyclisme qu’à partir de ce constat : portés par leur foi, croyant et cycliste trouveront sens là où mécréant et non initié ne verront que coïncidences et idioties.