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Critique de Acerola13


La sentence fait froid dans le dos : le sabre et le turban cherche à convaincre qu'il est bien vain de croire que la Turquie est gouvernée depuis sa création par autre chose qu'une subtile alternance (voire union) entre une doctrine militaire et expansionniste et une doctrine religieuse.

Jean-François Colissimo remonte aux éléments constitutifs de la Turquie moderne, qui sont selon lui l'effondrement de l'Empire ottoman et le génocide arménien "& co" pourrait-on dire, significatif d'une épuration ethnique comme socle de l'avènement d'une nation indivisible, et dont l'indivisibilité ne peut être aujourd'hui remise en question sous peine de blasphème, comme en font l'expérience de nombreux journalistes, artistes et militants emprisonnés dans un État souvent érigé en modèle par les Occidentaux.

Le sabre et le turban s'articule autour d'une comparaison entre Kemal et Erdogan, que tout semble séparer et qui sont pourtant les mêmes faces d'une Turquie ivre de puissance, quels que soient les moyens à mettre en oeuvre pour retrouver cette dernière.

L'auteur s'attarde également sur la conception bien particulière de la laïcité turque, qui ne consacre pas la séparation de la religion et de l'État, mais bien la soumission totale de la première au second, comme le montre l'intransigeance kemaliste envers les sectes.
Plus proche de nous, l'organe "Diyanet", sorte de super ministère au budget conséquent, et chargé la gestion de la religion sunnite prônée par la Turquie, sur le sol national mais aussi et surtout à l'étranger, via entre autres la gestion de mosquées.

L'éternelle question de la candidature de la Turquie à l'Union européenne est également passée au crible ; l'ouvrage tentant d'en montrer sa totale incohérence, tant liée aux profonds conflits qui subsistent entre la Grèce et la Turquie et par l'annexion et la colonisation pure et simple de Chypre, que par l'étrange situation d'une Turquie européenne qui deviendrait le pays le plus peuple, le plus religieux, et aux frontières les plus menacées par la guerre de l'Union.

On peut enfin souligner la place importante laissée par l'auteur aux minorités autres qu'arméniennes dans le long récit des exactions turques envers ses composantes : Dönme, Yézidis, Alévis, Zazas, Lazes et Assyriens...

Un livre à charge donc, mais extrêmement intéressant, et n'hésitant pas à prendre le contrepied d'une certaine tolérance accordée à la Turquie malgré ses innombrables pieds de nez aux valeurs de l'Union européenne et sa capacité de nuisance maintes fois démontrée...J'ai toutefois regretté certaines positions un peu trop radicales à mon sens, notamment celles portant sur le Haut-Karabagh, dont la situation est bien inextricable, et sur une digression portant sur le génocide arménien comparé au "peuple" juif.

Un portrait glaçant, et qui s'ajoutant à d'autres lectures tout aussi accusatrices, renforce un sentiment d'urgence face à un pays dont l'agressivité et la violence s'expriment indistinctement envers ses ennemis, ses alliés, mais aussi ses dissidents internes : parler de démocratie ou de laïcité, voire de modernité semble désormais tristement anachronique.
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