AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de gerardmuller


Ce soir on soupe chez Pétrone /Pierre Combescot
Nous sommes à Marseille en l'an 99, 852 ans après la fondation de Rome. L'empereur Trajan règne alors. Lysias, ancien élève de Pétrone et devenu son secrétaire et aussi son premier lecteur, vit seul dans son vieux cabanon au fond de la calanque, entouré de la treille suspendue au-dessus du triclinium et de son jardin qui descend jusqu'à la mer. Solitaire depuis qu'Adminius, son compagnon, s'en est allé rejoindre une femelle, une goule selon lui avec qui il s'est mis en ménage.
C'est Pétrone qui peu avant sa mort a légué à Lysias le cabanon ainsi qu'une somptueuse villa sise au forum et que Lysias loue à un affranchi ancien taulier à Rome. Grâce au loyer, Lysias vit comme un prince dans son cabanon.
Autrefois, Pétrone son maître devenu sénateur puis proconsul en Bithynie (Turquie aujourd'hui), regrettatoujours la délicieuse époque où il vécut à Marseille sa ville natale.
Lysias le grec est sollicité de toutes part pour écrire ses mémoires, des témoignages du passé, des portraits de personnalités, d'assassins du laticlave et de sycophantes, d'artistes de la mentule et de célèbres tribades, afin de servir l'histoire de son époque. Mais au départ il ne veut rien entendre, il est libre et veut le rester.
Il fut un personnage jadis à Rome et il lui reste de nombreux souvenirs qui pourraient remplir des tablettes, mais il ne veut pas être l'égal des petits maitres à la mode délectant Rome de petits pets iambiques accompagnés d'un inévitable thrène.
Lysias aime lire les satires de Juvénal et fréquente la palestre pour garder la forme physique. Il aime Marseille, une ville déjà cosmopolite où professent les meilleurs rhéteurs et autres péroreurs de l'Empire. Pétrone y étudia brillamment et plus tard abandonna son latin amidonné pour se complaire dans le langage coloré des gouapes, plus libre. Il découvrit alors la passion de l'amour sous ses formes multiples, brillantes mais aussi sordides parfois. À l'époque, Lysias avait seize ans et servait de secrétaire à Pétrone. Il était à bonne école !
Ainsi commence ce roman historique passionnant et foisonnant d'anecdotes. Et finalement bienheureux dans son cabanon phocéen, se laissant convaincre, Lysias va coucher sur ses tablettes quelques souvenirs.
C'est d'abord 33 ans plus tôt l'adieu programmé de Pétrone à Rome alors que Néron règne et que Pétrone fait partie de ses amis favoris.
Pétrone raconte alors au jeune Lysias les débuts de Néron comme acteur de théâtre, un comédien hors pair. Il faut savoir que Pétrone, anarchiste mondain, admirait profondément Néron en toute circonstance. Tout ce qui pouvait déroger à l'ordre établi en art, en politique ou même dans la vie de tous les jours, le mettait en joie.
Pétrone aime aussi devant Lysias exalter les « tuniques dorées » des derniers temps de la République romaine, c'est-à-dire après l'assassinat de Jules César en 44 avant J.C. C'étaient des enfants gâtés, des patriciens ruinés, condamnés par le destin à vivre d'orgies et de dépravations. Il lui parle des dictateurs qu'a connus Rome, Sylla notamment qui transforma Rome en abattoir en faisant exécuter tous ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui et ce de façon méthodique et sans recours.
Lysias ne manque pas d'admirer Pétrone qui lui fait ses confidences toujours avec une pointe d'ironie et sur un ton léger. Bien installés dans la luxueuse villa de Pétrone située sur le flanc du Quirinal, ils bavardent un rhyton de falerne à portée. Les conversations avec son maître étaient éblouissantes, riches en saillies et en paradoxes, qui firent la notoriété de Pétrone. Même sur les sujets graves, Pétrone restait malicieux quoiqu'il ne fût insensible au malheur. Simplement, comme la nature l'avait fait moqueur et facétieux, il préférait opposer, à une ostentatoire compassion, une insouciante légèreté.
Pétrone était discret et même secret sur sa vie privée. D'un esprit original et fantaisiste, il avait le charme amer de par son insolence et son art de de percer toutes les hypocrisies et les conventions de son milieu. Il perdit sa femme Licinia en couches d'un fils qu'il perdit plus tard victime de fièvres palustres.
Plus tard après avoir écrit « La vie tumultueuse d'Encolpe et de Giton » (appelé plus tard le Satiricon), il connut la disgrâce auprès de Néron qui n'hésita point à lui faire des affronts en public. Lysias confesse qu'il n'a jamais compris comment Pétrone avait pu supporter aussi longtemps un monstre tel que Néron et appartenir à son premier cercle, lui qui osa applaudir le citharède chantant du haut de la tour de Mécène l'incendie de Troie tandis que Rome brûlait et qu'il voulait se rendre compte du désastre. Les ragots de ses détracteurs qui suivirent lui attribuèrent à tort la responsabilité de l'incendie.
Tous les sujets sont abordés et Pétrone aime parler des bas quartiers de Rome où prospère une humanité sordide. Avec son ami Gordias, le seul homme dont il ait été amoureux, il fréquentait les bouges les plus réputés pour leurs spécialités orientales. Il parle aussi de Sénèque et de Lucain sans retenue aucune dans la critique. Pétrone narre ensuite à Lysias de la venue, un temps contestée, de Saul appelé à Rome Paul de Tarse, messager du Christ, un homme brillant et subtil, ironique et persuasif.
Pétrone va donc quitter Rome pour accompagner, sur ordre, l'Empereur en villégiature sur les bords de la baie de Naples, at auparavant il veut donner un souper dont on parlera longtemps. Lysias est du voyage, un voyage en galère qui dure deux jours. À peine arrivés en pleine mer Pétrone se voit signifié par un messager de Néron qu'il n'a plus besoin de lui et peut s'arrêter à Cumes où il a une résidence. C'est là que Pétrone évoque la mémoire de sa grand-mère, Fabia Maxima, une femme qui a beaucoup compté pour lui, une femme qui vécut libre avec une solide réputation de tribade sans pour autant faire partie de la cohorte de prétoriennes adeptes de l'olisbos, une grand-mère qui snobait l'Empereur Auguste, inclinait vers une bienveillante immoralité et qui était inspirée chaque jour par le poète Horace pour vivre chaque jour comme s'il devait être le dernier. Cette époque marqua le début de la décadence de Rome dont les prémisses sont le sujet du Satiricon, et ce malgré la Loi Julia promulguée par Auguste et qui réglementait les mariages.
Pétrone parle et veut léguer toutes les anecdotes qu'il connait afin que Lysias en fasse un ouvrage de mémoire, une biographie qui soit autant la sienne que celle de son maître.
Pour revenir à Tibère, alors qu'il était agonisant, c'est une certain Macron, préfet du prétoire, qui se chargea de louer les services de pleureuses professionnelles. Voyant que la mort n'emportait pas assez vite Tibère et que Caligula s'était déjà installé sur le trône, il ordonna à l'esclave Chariclès d'étouffer le malade pour gagner du temps. Ce qui fut fait.
L'heure du souper approche et les invités arrivent aux portes de la somptueuse villa de Pétrone, en une file de litières portées par les esclaves. Parmi eux, une figure inénarrable de théâtre, Mamercus qui au cours de la soirée va interpréter le rôle de Trimalchion, l'amphitryon ridicule mais tellement humain du Satiricon. C'est Pétrone lui-même qui place ses invités sur une dizaine de lits placé en fer à cheval autour des immenses tables basses. Puis il prend la parole pour présenter son menu surprenant pour ses commensaux. Et il parle, il déclame, il évoque l'assassinat de Jules César, le mariage de Marc-Antoine avec Fulvia et leur nuit de noces, et une foule d'anecdotes… Il n'arrête plus…Quand soudain, mais il s'y attendait secrètement, la garde prétorienne de Néron fait irruption… Pétrone invite Lysias à fuir avec Adminius, tandis que lui regarde se dérouler son destin…
Un merveilleux roman historique, truculent à souhait, écrit à la mémoire de Caïus Pétronius Arbiter, écrivain arbitre du bon goût à la cour de Néron. 350 pages d'évocation de la vie quotidienne dans une Rome décadente et théâtre de toutes les turpitudes dans le monde des patriciens, comme si on y était. Passionnant de bout en bout, écrit d'une plume très personnelle, parfois crue et leste mais jamais vulgaire, pleine d'humour et agrémentée d'un vocabulaire riche faisant montre d'une érudition éblouissante. Pierre Combescot , avec une verve incroyable nous décrit le cloaque incroyable que fut Rome à une époque.

Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}