Son ciel à lui, c'était la petite fille qui vivait à ses côtés: c'est grâce à elle qu'au lever du jour il se sentait la force de vivre, c'est grâce à elle qu'au crépuscule il ne songeait pas à mourir avec le soleil. Ses seuls amis étaient son bateau et son chien jaune, et son seul parent était cette petite-fille. (p. 10)
Emeraude, faute de pouvoir faire passer ses sentiments dans les mots, dans la pierre ou la couleur laissait son coeur s'abandonner aux rêveries les plus débridées. (p. 154)
Comme d'habitude, le crépuscule n'était que douceur, paix et beauté, mais tout être sensible au spectacle qui l'entoure eût éprouvé la même mélancolie: à cette heure les jours passés se muent en tristesse. (p. 123)
Le grand-père était plein d'entrain ce soir-là : de récit en récit, il en vint à évoquer la coutume des chants alternés pour laquelle, vingt ans auparavant, les gens de Chadong s'étaient rendus célèbres du Sichuan au Guizhou. Le père d'Emeraude était le meilleur chanteur de la région : il savait trouver toutes sortes d'images pour exprimer des sentiments mêlés d'amour et de haine. La mère d'Emeraude adorait chanter. Et avant même de se connaître, les deux jeunes gens s'étaient donné la réplique — l'un coupait des bambous à mi-pente tandis que l'autre manœuvrait le bateau sur la rivière.
« Et après ? demanda Emeraude.
— Après, ce serait trop long à raconter, répondit le grand-père. L'essentiel, c'est que leurs chants t'ont donné le jour. »
Chapitre 13.
Emeraude, qui s'était d'abord opposé à ce projet, avait fini par accepter, mais le jour suivant elle changea encore d'avis: ou bien ils iraient ensemble, ou bien ils garderaient tous les deux le bateau. Le grand-père comprit qu'elle était partagée entre l'envie de s'amuser et l'affection qu'elle lui portait. (...)
Malgré toutes ces belles paroles, il était visible que la proposition d'Emeraude lui agréait, mais cela lui serrait le coeur de la voir si raisonnable. Comme il se taisait, Emeraude demanda : " Si j'y vais, qui te tiendra compagnie ?
-j'ai mon bateau pour me tenir compagnie", dit le grand-père. (p. 64)