AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Arakasi


Il y a quelque chose de fêlé sous le crâne de tout militaire qui se respecte, une forme très particulière de démence, parfois douce parfois féroce, qui pousse des hommes – par ailleurs très raisonnables – à risquer leur vie pour des sottises. Bon, raisonnable, le lieutenant Feraud ne l'est guère. Ce petit gascon colérique accumule les duels comme d'autres les poux et il ne se passe guère un mois sans qu'il ait une nouvelle querelle sur les bras. En revanche, le lieutenant D Hubert, aristocrate picard de vieille souche, devrait être capable de se montrer plus mesuré… Mais voyez comme ces gens-là ont l'honneur chatouilleux ! Sur un malentendu stupide et alors qu'ils résident tous deux dans la même garnison, les deux hommes se brouillent mortellement. Leur mésentente donnera lieu à une longue suite de combats qui deviendront rapidement légendaires au sein de la grande armée impériale. L'Europe tremble sur ses bases, les monarchies s'effondrent et se redressent, mais les lieutenants D Hubert et Feraud n'en ont cure. de Strasbourg à Paris, des déserts de Russie aux forêts de Picardie, ils se croisent, s'affrontent, se séparent pour mieux se retrouver et se battre encore. On a beau dire, une bonne haine, ça vous remplace efficacement les plus belles histoires d'amour !

Le signe distinctif des grands écrivains, c'est leur capacité à faire leur beurre avec n'importe quel aliment. A partir d'un fait divers amusant mais anecdotique de l'épopée impériale, Conrad forge avec « le Duel » une fable fascinante sur la haine, l'orgueil et les extravagances auxquelles ces deux sentiments peuvent pousser un homme. Dans son adaptation filmique de 1977, Ridley Scott a eu le tort d'héroïser le personnage D Hubert, en faisant un parangon de vertus aristocrates face à un Feraud dangereux et à la limite de la démence. le roman de Conrad est plus subtil que cela : il y a de aussi de la rage chez le lieutenant D Hubert, une soif de sang certes plus policée que chez Feraud mais bien présente tout de même, le second servant de révélateur à la violence du premier. Pour Conrad, cette soif de sang est de toute évidence intrinsèque à l'état de militaire. Tout l'enjeu du « Duel » réside donc dans la capacité D Hubert à dépasser cette violence et à devenir ainsi un homme civilisé. Mais les vieux ennemis sont un peu comme les vieux amis : quand vient l'heure de les quitter, on se surprendrait presque à les regretter…

Style superbe, humour acide, critique lucide et acérée du monde de l'armée… La seule chose que l'on pourrait reprocher à ce brillant petit roman est sa trop grande brièveté. Les frustrés pourront se rabattre sans hésitation sur l'excellente adaptation en bande dessinée « Duel » de Renaud Farace, sortie en avril 2017. L'auteur y brode avec talent sur le récit de Conrad, apportant entre autres une épaisseur bienvenue au personnage de Feraud et un approfondissement intéressant du contexte historique. Sur ce, je m'en vais de ce pas approfondir ma connaissance de l'oeuvre de Conrad !
Commenter  J’apprécie          242



Ont apprécié cette critique (20)voir plus




{* *}