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Critique de MarcelP


«"I had jumped . . ." He checked himself, averted his gaze. . . . "It seems", he added. (...)»

Plongée dans la psyché d'un homme, ce livre monstre possède une densité peu commune. Récit circonstancié d'une déchéance et d'une résurrection voire d'une transfiguration, le magnum opus de Conrad soulève plus d'interrogations qu'il n'apporte de réponses.

Ecce homo! Jim, second sur le Patna, abandonne le bateau et ses passagers lors d'une avarie qu'il juge fatale pour ce navire qui transporte des pèlerins vers La Mecque. Jugé, déclassé, il n'a de cesse de fuir cette tache originelle. C'est dans la jungle bornéenne qu'il trouve refuge : vierge de toute réputation, il gagne la faveur des habitants de Patusan, pacifie les relations entre les hommes du rajah Tuku Allang et les indigènes Bugis, devient le meilleur ami de Dain Waris, le fils unique du chef des Bugis, le vieux Doramin, et s'éprend de celle qu'il surnomme Joyau, la belle fille du seul blanc de cet enfer vert, le pleutre Cornélius. Confronté au mal en la personne du pirate Gentleman Brown, il choisit de trancher le noeud gordien de sa conscience en faisant acte de clémence. Cet élan de générosité se solde par une nouvelle faute qu'il lui faut expier.

Lord Jim est un roman à entrées multiples, un kaléidoscope littéraire : pour témoigner de la trajectoire de son héros, Conrad use de nombreux subterfuges. Il associe discours direct, récits rapportés, confessions de seconde main, dépositions amicales ou à charge, documents scripturaires, le tout dans un désordre sinueux, faisant fi de toute chronologie. le lecteur passe d'un présent flou à un passé fumeux, d'un aujourd'hui irrésolu à un hier indiscutable. La multiplication des voix entraîne la prolifération d'une ponctuation délirante qui dessine une destinée cryptogrammatique.

Qui est Tuan Jim ? Est-ce un lâche ? un demi-dieu ? un enfant ? un égoïste ? ou tout à la fois ? Mobilis in mobile. La parole profuse de Marlow, le narrateur d'une grosse partie du roman, tente de s'approcher de la vérité d'un homme mais il n'en fige qu'un reflet fugace et changeant. Miroir brisé, Jim est insaisissable : chaque protagoniste atteste des irisations de sa personnalité fuyante.

Magistral, ce roman résonne fortement en chacun de ses lecteurs : sommes-nous tels que nous croyons l'être ou tels que chacune de nos réponses aux aléas du destin nous modèle ? Sommes-nous finalement assignés à la désillusion ? La vie n'est-elle qu'expiation ?

Lord Jim est une mine d'or, on y devine un gisement qu'une seule lecture ne peut suffire à épuiser. J'y reviendrai...

"And besides, the last word is not said, — probably shall never be said."

"Et de plus, le dernier mot n'est pas dit — et probablement il ne le sera jamais. Notre vie n'est-elle pas trop courte pour cette complète formulation qui, à travers tous nos balbutiements, est, naturellement, notre but unique et permanent ?"
Lien : http://lavieerrante.over-blo..
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