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Critique de beatriceferon


Michael Sweerts est un peintre méconnu du XVIIe siècle. Né à Bruxelles, il fait ses premiers pas dans l'univers pictural en copiant des moulages d'antiques ou en prenant pour modèles les pauvres gens qui l'entourent. Au moment de sa rencontre avec Johannes Lingelbach, un artiste allemand itinérant, il décide de lui emboîter le pas et de visiter le monde. A Paris, sa rencontre avec Madame de Saint-Sauveur bouleverse sa vie. « C'est une citadelle, Michael Sweerts est hors les murs. Lui faudra-t-il en faire le siège ? » Peut-être donc est-ce poussé par cette passion impossible que le jeune homme va partir loin, toujours plus loin, au bout du monde.
Depuis qu'elle existe, je regarde quotidiennement l'émission d'Olivier Barrot « Un livre, un jour ». Récemment, on y présentait le roman de Dominique Cordellier. La couverture offrait le détail d'un portrait assez énigmatique et attirant.
J'aime énormément la peinture et j'apprécie de découvrir la vie des artistes. C'est un livre pour moi, ai-je donc pensé. Et voilà que, quelques jours plus tard, je le retrouve dans la liste proposée par l'Opération Masse critique. Cela vaut la peine de tenter ma chance. Je l'ai reçu. Je l'ai immédiatement lu. Enfin, lu... Contrairement à mes attentes, j'ai éprouvé terriblement de difficultés à le faire. J'avais l'impression qu'on m'avait lobotomisée : je ne comprenais rien.
Dès la dernière page tournée, je suis allée vers la quatrième de couverture que, dans la mesure du possible, je ne consulte jamais avant la lecture, de peur qu'elle n'en dévoile trop. Ici, c'est simple, la totalité de l'aventure vécue par Sweerts est révélée : il va partir pour Rome, à Amsterdam, « les Missions étrangères l'enrôlent », il continuera la route vers la Syrie, la Perse, l'Inde. Si j'avais su, je me serais épargné une véritable épreuve, car, pour moi, c'en fut une !
Honte sur moi peut-être, mais Michael Sweerts est un peintre dont je n'avais jamais entendu parler. Dominique Cordellier m'était tout aussi inconnu (et pour cause, ceci est son premier roman).
J'entreprends donc quelques recherches. Les résultats sont maigres. Internet ne m'apprend guère plus sur Dominique Cordellier que la notice biographique de deux lignes précisant qu'il est conservateur au Musée du Louvre et spécialiste des dessins italiens de la Renaissance. C'est très certainement prestigieux, pas à la portée du premier venu et explique, sans doute, qu'il ne s'adresse pas au tout venant. Mais le lecteur lambda n'est pas un éminent collègue de Dominique Cordellier.
Pour moi, son style est excessivement recherché, précieux, verse dans le nébuleux, voire l'abscons. Il use et abuse de longues (une dizaine de lignes) énumérations, truffées de mots de vocabulaire érudit et archaïsant (malingreux, cagou, hétère, monter à la genette...), dont j'ai dû chercher, parfois en vain, le sens (pléviander, par exemple).
Ce procédé finit par lasser et donner le tournis : « On trouve dans ses loges des chiens de Bologne et des marchandises de la Chine, des affiquets, des oiseaux, des courroies, des corsets, des bottes, des fers, des lanternes, des bas, des draps, des plumes, de la dentelle de fil et d'argent, des gants, des parfums, des miroirs, des cierges, des chandelles, de l'or, des joyaux, de la soie, des rubans, des épices, de la confiture, du vin d'Espagne, des chaussures fines et toutes sortes d'abricots, et tout ce que désire le désir, et tout ce qui plaît au sexe. » Il y a des citations en diverses langues, notamment le latin, qui ne sont pas traduites. Si vous n'êtes pas polyglotte, tant pis pour vous (« Pictor Zeuxis risui mortuus, dum ridet effuse pictam a se anum »). Tout le monde comprend ? Moi, il m'a fallu un gros effort.
L'auteur s'exprime de manière allusive et obscure. Ainsi, dès les premières lignes, on se trouve confronté à : « Il ne lui avait pas échappé cependant que Daniel Swertz, marchand de lin à Bruxelles, disait de lui : il est mon fils, ni que Martine Balliel et Martynken Mallier ne disaient rien car elles étaient sa mère. » Cela plonge quand même le lecteur dans une certaine perplexité. J'imagine que, à l'époque, l'orthographe, surtout celle des noms propres, n'étant pas encore fixée, on écrivait parfois Swertz, parfois Sweerts (Balliel ou Mallier). Quant à la mère, originaire de Bruxelles, ville bilingue, son prénom se dit tantôt Martine en français, tantôt Martynken en flamand.
Michael Sweerts part sur les routes et a, ainsi, l'occasion de rencontrer de nombreuses personnalités, telles Teniers ou Vermeer. A Paris, il croise un certain Jean-Baptiste, et j'en déduis qu'il s'agit de Molière (la quatrième de couverture me le confirmera). Cependant, combien y aura-t-il de lecteurs qui sauront que, sous le pseudonyme de Molière, se cachait Jean-Baptiste Poquelin ?
Ailleurs, voici Michael Sweerts en présence de trois frères qui me font songer aux le Nain (et la quatrième de couverture me dira que je ne me trompais pas). Je m'étonne, car ceux-ci se nommaient Antoine, Louis et Mathieu. Or, Dominique Cordellier les appelle Florange, Silidas et Polidon. Pourquoi ? Un unique article sur le Net (habituellement, même quand les résultats sont maigres, il y en a au moins une dizaine) m'apprend que c'est un obscur (du moins pour la béotienne que je suis) du Bail, auteur d'un roman à clefs « Les Galanteries de la Cour », qui les désigne ainsi.
Cette lecture m'a donc demandé un énorme effort, ne serait-ce que pour comprendre des passages tels que : « Arrivés en un lieu dont l'histoire n'a pas livré le nom, leurs routes se sont séparées. Lui est resté quelque temps encore dans les Indes pour prendre un maître de musique , elle s'en est retournée. La dernière nuit qui les vit sous le même ciel, si le ciel est partout différent, fut une nuit de lin. Les distances entre les étoiles se réglèrent sur les intervalles de l'octave, de la quinte et de la quarte. Entre Saturne et Jupiter, il n'y eut plus qu'un demi-ton. du crépuscule à l'aube, ils virent les accords célestes de l'univers. A son lever, le Soleil se trouvait à une quinte de la Terre. L'étoile du matin, Vénus, qui est l'étoile du berger, était pareille à celle du soir. »  Tout le roman est écrit sur le même modèle. C'est mystérieux et poétique, je ne le nie pas, mais j'avoue que je n'ai pas vraiment compris.
Quant à Michael Sweerts, je ne le connaissais pas avant cette lecture. Elle ne m'a pourtant rien appris de plus que l'article qui lui est consacré sur Wikipédia. A part l'une ou l'autre toile, telle celle qui orne la jaquette de l'ouvrage, son oeuvre ne m'a pas plu. L'auteur semble dire qu'il est bien supérieur à Vermeer. Ce n'est pas mon avis de pauvre ânesse bâtée. En outre, si on n'a pas à côté de soi tablette ou ordinateur pour essayer de découvrir les tableaux auxquels le récit fait allusion, de manière vraiment énigmatique et ampoulée, on est tout à fait perdu.
Donc, je dirais que l'auteur s'adresse à une élite intellectuelle très restreinte, car enfin, qui, parmi les lecteurs « normaux », va s'y retrouver ?
Je reprendrai à mon compte la phrase de mon père qui illustre parfaitement ma pensée : « C'était très bien, mais il ne faut plus en faire pour moi. »
Toutefois, je remercie chaleureusement l'Opération Masse critique ainsi que les éditions du Passage qui m'ont fait ce cadeau, puisque, de toute façon, j'avais envie de tenter cette aventure.
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