Échauffement

Parfois, je me dis que ça doit être encore plus difficile quand on s’appelle Gary Devlin. Parce que Gary Devlin il a :
1) Un charme dingue et le plus beau corps de Premier League (c’est pas moi qui le dis, j’ai vu un article dessus dans le dernier GQ, dans le dossier spécial Coupe d’Europe).
2) Une classe de fou.
3) Un talent en or massif. Numéro 10 de Chelsea, capitaine du Pays de Galles, élu meilleur joueur de Premier League l’année dernière, régulièrement man of the match…
Je l’ai affronté une seule fois, dans un match où je suis rentré à la soixante-quinze minute (c’est déjà ça ! Quinze minutes en Premier League à 19 ans, je crache pas dessus !), et il m’a mis des dribbles dont je ne me suis toujours pas remis. Il est milieu offensif, je suis défenseur central, alors forcément quand nos équipes s’affrontent on se voit de très près.
Bref, ça doit être difficile d’être Gary Devlin parce que toutes les filles qu’il rencontre sont forcément folles de lui, mais il ne peut pas savoir si c’est parce qu’il est riche à millions, parce qu’il est célèbre, ou simplement parce qu’il est à tomber par terre. Une fois je l’avais rencontré à une soirée de gala et je n’avais pas pu m’empêcher de le mater. Je dis « mater » mais n’exagérons rien, je n’étais pas non plus à lui faire de l’œil comme une groupie écervelée, mais j’avais eu du mal à décrocher mon regard de lui. À un moment il m’avait regardé à son tour, et ça avait été hyper bizarre. C’était un peu comme si le temps s’était arrêté – je sais que c’est cliché de dire ça mais vraiment, nos regards s’étaient croisés, il avait pris un air interrogateur, je pense que j’avais rougi comme un dingue, gêné d’être surpris, et il n’avait pas lâché mon regard tout de suite. Enfin, je crois. Ce dont je suis sûr, c’est qu’en rentrant chez moi je m’étais senti super bête de l’avoir regardé comme ça. Et que j’avais rêvé de lui toute la nuit.
Ok, ce rêve était vaguement sexuel. Mais je ne m’en rends pas malade non plus parce que je sais que je ne suis pas gay. Et que c’est normal de faire des rêves érotiques à base de joueurs de foot, parce qu’après tout on ne voit que ça à longueur de journées. Ça doit être pareil pour tout le monde…

Je commence à me déshabiller en faisant la conversation à Alex. C’est normal dans un vestiaire de se changer devant tout le monde, même si ça m’a fait bizarre au début, quand je suis arrivé ici. C’est sans doute idiot mais j’ai toujours l’impression d’être moins musclé que les autres, plus pâle que les autres, et puis j’ai même pas de tatouages, contrairement à, je dirais, 80 % des joueurs que j’ai rencontrés. Alors quand j’étais à Burnley ça allait parce qu’Alex et moi on était vraiment les meilleurs sur le terrain, on était admirés, c’était plus facile pour se sentir en confiance. Mais ici je suis entouré de stars comme Hans Jürgen, champion du monde il y a deux ans, de mecs qui ont quinze ou vingt ans d’expérience au plus haut niveau, comme notre capitaine Jamie Young ou de top models comme Javier Sanchez, un Paraguayen qui est arrivé au club au dernier marché des transferts et qui est juste trop bien foutu. J’adorerais être comme lui : il a la peau hâlée mais pas trop, un corps super robuste, des pecs vraiment pas mal. Bref, ça ne sert à rien de penser à ça, on a juste des physionomies différentes. Et puis il faut que je me dépêche de me mettre en tenue.

Chapitre 4 :
« …
> Au courant de quoi ?
> Que t’es homosexuel.

Aïe. Je n’ai pas du tout envie qu’il croie ça. En plus, ce n’est même pas vrai. Je suis juste extrêmement attiré par lui, pour une raison qui m’échappe, et j’aimerais me débarrasser au plus vite de cette sensation désagréable. Mais comment le lui expliquer ?

> Je ne le suis pas du tout.

Et s’il l’était lui-même ? Je reprends :

> Je veux dire, je n’ai absolument rien contre ça évidemment,
mais je ne crois pas être gay. Désolé si je me fais des idées,
mais j’ai eu l’impression que tu me regardais pendant la
soirée. Et je me suis dit que ça pourrait être sympa de tenter.
> Tu veux dire qu t’as pas du tout d’expérience de ça ?

Comment ça ? Il a l’air surpris. Je fais si efféminé que ça ? Ok, tous les gays ne sont pas efféminés… mais c’est plus fort que moi : ça me vexe.

> Qui moi ? Non ! Toi oui ?
> Je comprends pas, Caleb. Ça te choque que je puisse
penser que t’as une expérience de ça ?
> Non c’est pas ça, mais tu dis ça comme si toi
t’avais déjà eu ce genre d’expérience.
> Ah non, j’en ai jamais eu. Désolé, j’ai une copine.
Elle était là hier d’ailleurs.
> Sois pas désolé !!!

Quarante-quatre minutes après, toujours pas de réponse. Ça a le mérite d’être assez clair. Je sais bien qu’il a une copine, cet enfoiré, mais j’ai quand même pas inversé ses regards équivoques d’hier… Bon, au moins, je n’aurai pas de regret.
Je finis cependant par sentir une vibration dans ma poche.

> Bah si, je suis un peu désolé.

Il est un peu désolé. Désolé de quoi ? Désolé d’avoir une copine ?! Il faut que j’en sache plus :

> Tu veux dire que ça aurait pu te tenter ?


J’ai le souffle court, suspendu à son verdict.»