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Critique de batlamb


Dans ce recueil de courts textes, le discours indirect libre règne en maître : le dialogue est survolé à un rythme effréné, sans tiret et guillemets. C'est un moyen pour Cortazar de laisser tous ses personnages fugaces envahir la voix narrative de ses mini-nouvelles. Il suggère ainsi l'effervescence de son monde intérieur, qui n'est pas assez grand pour un seul homme. Aussi décide-t-il de se dédoubler. Ce recueil ne porte donc pas sur Julio, mais sur Lucas, et pourtant c'est la même chose, nonobstant le trouble dissociatif ainsi acté.

Le résultat est aussi aléatoire que les pensées spontanées tourbillonnant dans la tête d'un écrivain. En certains cas, c'est beau, je suis emporté, et je m'incline à la fin de la valse, comme lors de cette conférence auprès d'une table, un pauvre meuble qui n'avait rien demandé et se retrouve au coeur d'une diatribe hallucinante contre les barrières dressées par le réel entre les hommes et leurs aspirations. Quelle verve !

C'est une volubilité de tous les instants. Cortazar parle sans arrêt, sur tous les sujets, avec n'importe qui, n'importe quoi, et surtout avec lui-même, puisque l'on ne peut pas démêler l'imaginaire de son inspiration autobiographique. L'un des fragments de ce recueil s'intitule d'ailleurs « Lucas, ses soliloques », et l'oppose à un interlocuteur quelque peu abstrait, dont l'identité fait tout le sel de la chute.

Ce bavardage peut devenir parfois agaçant, quand l'humour léger ne parvient pas à diluer la lourdeur de certains délires conceptuels moins inspirés, qui s'accompagnent parfois d'un étalage de références un peu pédantes (avec des textes comme le « zipper sonnet », il se rapproche ainsi dangereusement des travers dont il se moque lui-même par ailleurs dans « Texturologies », hilarante parodie du jargon universitaire et du vide que celui-ci peut parfois recouvrir). En tout cas, on ne peut certainement pas reprocher à Cortazar un manque de créativité. Lucas n'est d'ailleurs que l'un de ses alter egos, ses hydres qui ne peuvent s'empêcher de pousser et prennent parfois des formes inquiétantes lorsqu'elles menacent de dissoudre son identité : "Now shut up you distasteful Adbekunkus !", ordonne-t-il à l'une d'elles, tel un dément ordinaire (qui n'a jamais eu d'ami ou d'ennemi imaginaire ?).

Ce livre se résume donc à la singularité du regard que Cortazar porte sur le monde, malgré (grâce à ?) l'altérité qu'il porte en lui. Prendre de la distance, se considérer soi-même comme un autre, peut-être est-ce la meilleure façon de se sentir en harmonie avec la frénésie du monde (une frénésie tout aussi inarrêtable que la voix narrative de ce recueil). Et de s'autoriser à en rire.

Cela m'encourage à pousser plus avant dans la découverte des oeuvres de Lucas… de Julio… de cet autre dans lequel je me retrouve un peu.
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