AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de SZRAMOWO


« le complot des saltimbanques » pourrait être vu comme une réplique pastiche du roman « une ambition dans le désert ».
Teymour comme Samanthar est un jeune homme oisif, sans problèmes matériels, jouissant d'une situation que lui procure son père industriel ingénieux ayant mis à profit sa connaissance des hommes et des affaires.
Pourtant, il ne se satisfait pas de son sort. Parti à l'étranger faire des études d'ingénieur, il passe six années à se complaire dans la facilité et le plaisir que lui offre une capitale occidentale parée, pour un habitant de la petite ville d'orient dont il vient, de tous les attraits et de tous les interdits.
Ce sera là sa formation, ses humanités….
Ce roman pourrait être intitulé, selon la formule de Lampedusa dans « le Guépard » : « il faut que tout change pour que rien ne change ».
Teymour va en faire l'expérience, ni amère ni cruelle.
Il craint le retour au pays, certain de s'y ennuyer, de ne plus retrouver la faconde et l'irrespect dont il faisait preuve avec ses amis, d'être considéré à jamais comme un étranger, un touriste (au sens le plus péjoratif du terme, celui qui ne s'intéresse à rien parce qu'il n'est pas d'ici…), et pas dessus tout, il craint de revoir ses amis d'adolescence, ceux avec lesquels il fomentait les opus les plus tordus pour animer la cité.
On retrouve dans ce personnage une allégorie typiquement Cosseryenne, lui qui vécut toute sa vie à Paris, fuyant les régimes totalitaires égyptiens, se plait à nous démontrer que la culture et les façons de faire occidentales ne peuvent être la panacée répondant à la volonté de développement des pays orientaux, n'en déplaise à notre mentalité refoulée de pacificateurs, d'explorateurs obtus et aveugles, de missionnaires voulant évangéliser à tour de bras, d'éducateurs julesferryens, de messagers de la Grande-Nation….
Teymour, pour faire simple, se heurte à la réalité, celle de sa ville, enfin celle qu'en voit les autorités chargées de surveiller les populations pour le compte d'un pouvoir autiste retranché dans la crainte d'un complot ultime forcément fatal.
Les ingrédients d'un récit cosmique à la Cossery sont réunis,
Teymour le héros repenti :
« Dès les premiers temps de son séjour à l'étranger, il dut s'avouer qu'il n'aurait jamais pu imaginer une pareille magnificence dans la débauche. »
« …bien qu'il recula le moment de se trouver en face de son ancien camarade ; attitude due à un sentiment de culpabilité et à l'appréhension que lui causaient ces retrouvailles….il avait écrit à Medhat quelques lettres…puis il avait interrompu cette correspondance…mais presqu'à son insu, entraîné qu'il était par une euphorie et une exaltation incessante. »
Ses amis de toujours qui le resteront malgré les péripéties, Medhat et Imtaz :
« Soudain une idée folle naquit dans l'esprit de Medhat, une idée dangereusement optimiste, mais qui lui parut comme l'unique solution acceptable par ce père déshonoré. Il allait se marier avec la fille et organiser une noce où il inviterait tous ses amis et connaissances. Il aurait ainsi une belle soirée en perspective et surtout une occasion inespérée de sortir de la routine ; une noce – sa propre noce !- c'était quelque chose de tout à fait imprévu dans le domaine des réjouissances. »
« Cet acteur, Imtaz, bien qu'il fût leur aîné de quelques années, avait fait un certain temps partie de leur bande avant son départ pour la capitale, où il devait réussir une carrière foudroyante. »
« Medhat parlait d'une voix grave, mais c'était pour impressionner Teymour et lui faire comprendre que cette ville n'éatit pas habitée que par des paysans ignares. »
Les dindons de la farce Chawki et Samaraï :
« Par des détours subtils, Chawki progressait vers les sources de lumière en agitant frénétiquement sa canne dans le but d'effaroucher des démons invisibles. Il n'était pas question pour lui de se pavaner devant une population arriérée mais d'atteindre au plus vite la maison d'Imtaz où devait se dérouler en son honneur des noces privilégiées. »
« Depuis le début de la soirée, Samaraï n'avait pas prononcé une parole ; il ne faisait que boire et se lamenter intérieurement, en proie à son obsession. Pour sa malchance il avait découvert l'alcool et l'amour en même temps, et ces deux ingrédients mélangés avaient sur son système nerveux un effet funeste. »
le traitre Rrezk qui finira par s'amender :
« Pendant quelques secondes, Rezk parut extrêmement embarrassé, sa pâleur s'accentua et ses yeux fiévreux parcoururent la terrasse, comme à la recherche d'une aide. »
« Rezk n'avait rien d'un jeune homme heureux ; son appartenance à cette ville lui pesait comme une malédiction. »
Le notable et le policier Hillali reclus dans cette ville éloignée de la capitale pour y faire ses preuves après un faux pas dans sa carrière.
« Hillali referma la porte et entraina le jeune homme dans son bureau, une pièce sans apparat, d'une austérité presqu'administrative. »
« Ces escamotages de notables le mettaient dans une position extrêmement dangereuse ; la moindre mollesse de sa part pouvait être interprétée comme une complicité tacite avec les ennemis du pouvoir. »
De nombreuses femmes : Ziza et Boula, les adolescentes perverses :
« Tu as tort de ne pas considérer notre ami comme un esprit sérieux, dit Imtaz, tout en caressant les seins de Ziza… »
« Ah non ! répondit Boula. Ce que je regrette c'est que mon honorable père ne soit pas là pour me voir. »
Watanya la mère maquerelle, son complice de mari « un ancien bagnard d'une force prodigieuses et d'un physique aussi nocif que celui de sa femme » ;
Salma la femme rejetée :
« Salma était une jeune fille, d'un milieu pauvre, que Chawki avait séduite et abandonnée… »
« Salma l'attendait dans la cuisine, assise devant un café :
- Tu en as mis du temps pour venir, fils de chien ! cria-t-elle dès qu'elle le vit apparaître. Je ne peux compter sur personne dans cette ville. Surtout pas sur toi à qui je dois tous mes malheurs ! »
L'amour sous les traits de la jeune saltimbanque Felfel :
« Les gens sont si laids dit Felfel en détournant son regard de la barque. Je voudrais partir très loin pour ne plus les voir. »
« Felfel battit des mains avec exubérance ; en disant qu'il accepterait un jour son argent, Teymour devenait irrémédiablement son complice. Elle se jeta au cou du jeune homme et l'embrassa à plusieurs reprises sur le front et sur les joues. »
Cette galerie de personnages improbables se meut avec grâce sous la plume de Cossery, en dépit de leurs faiblesses, de leurs croyances en des rêves impossibles, recherchant le bonheur là où il a des chances de ne pas se trouver, fuyant une réalité dont l'acceptation pourrait être une source de plénitude.
Enfermés dans des rôles peu prestigieux par une société qui ne croit qu'à leur révolte, ils finissent par fomenter la seule révolte qui vaille la peine d'être fomentée, celle de la dérision, de la raillerie, de la farce, de la jouissance, de la sensualité du désir et de la joie, que les esprits chagrins qui cherchent à les contrôler ne sauraient imaginer.
Morale d'une actualité criante au XXIème siècle où, quel que soit le continent et le pays, les fondamentalismes religieux cherchent à imposer des points de vue régressifs pour régenter nos comportements.
A lire sans modération et sans retenue !

Lien : http://desecrits.blog.lemond..
Commenter  J’apprécie          180



Ont apprécié cette critique (17)voir plus




{* *}