L'absence totale de poésie dans le monde politique actuel me semble révélatrice de tout ce qui fait défaut à notre conception contemporaine de l'exercice démocratique. Nos manières d'appréhender chacun des enjeux auxquels nous sommes soumis sont complètement dénués d'imagination, d'indépendance de pensée, de véritable liberté. (p. 46)
Je n'avais jamais vu de baleines, et pourtant j'en rêvais - la nuit, je veux dire. Leurs grandes formes mouvantes habitaient ma conscience, comme une sorte de paix en forme de poissons géants. Fragile et immuable, magnifique, insaisissable. Les baleines, dans mon esprit, représentaient toutes ces choses dont on peut être certains qu'elles existent, même si on ne les a jamais vues, même si elles sont menacées. Je croyais au baleines comme on croit à l'amour quand on ne l'a pas encore connu, ou qu'il tarde à revenir se poser dans notre vie.
Le grandiose ne niche pas toujours où l'on pense - le grandiose est d'une fragilité bouleversante.
La poésie est un impensable raccourci qui donne accès au coeur multiple des choses.
Au terminus, tu attends l'autobus. Il apparait soudain, pareil à lui-même, compagnon de fortune, animal domestique qui tourne en rond, la machine qui partage ta fatigue, ton espoir et tes ambitions, le transporteur de milliers de destins semblables au tien.
Ces jours-là, les jours de catastrophes, l'air vibre différemment. On le sent confusément, quelque chose s'est déplacé dans la marche du monde, on pourrait tous trébucher.
J'entrais dans la lecture, j'entrais dans cette maison, je possédais enfin le code secret pour percer le langage écrit, ce refuge où me mettre à l'abri, ce paysage sans fond, ce pays à faire. Je pouvais enfin partir à l'abordage de ce nouveau monde qu'étaient les livres.
Ce n'est pas au monde de définir la poésie, c'est la poésie qui définit le monde.
Et dans la parole, le monde se crée. Mais si les mots sont vides, le monde s'efface.
Mais depuis quelque temps, je remarque une forme d'agression particulièrement insidieuse à l'égard de la langue: elle consiste à vider les mots de leur sens. À les empailler, en quelque sorte: on garde l'enveloppe, on la fourre avec n'importe quoi, et on recoud. Le mot a encore l'air vivant, mais il a les yeux morts.