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Critique de Lamifranz


En 1930, Cronin a 34 ans. Il est déjà un médecin réputé. Il a publié une thèse en 1924 sur les anévrismes et une autre, retentissante en 1927 sur les méfaits de la silicose. A la fois médecin dans l'âme et chercheur émérite, il ne ménage ni son temps ni sa santé, et atteint de surmenage (le burn-out n'était pas encore inventé), et souffrant d'un ulcère duodénal (et dû au surmenage, donc), il doit cesser toute activité professionnelle. C'est alors qu'il se met à l'écriture, lui qui jusque là n'avait rédigé que « des prescriptions médicales et des ouvrages scientifiques ». Ce premier roman, c'est « le chapelier et son château » et le premier mot qui vient à l'esprit, c'est « Chapeau ! »
L'histoire se passe à Levenford. Pour ceux qui connaissent bien l'Ecosse, et je sais qu'il y a parmi vous nombre d'amateurs de haggis, et encore plus d'amateurs de whisky, ils n'auront pas de mal à reconnaître la ville de Dumbarton, sur la Clyde (au confluent avec la Bonnie ?). Cronin y a placé l'action de son roman, car il y a tous ses souvenirs d'enfance et de jeunesse. Et notamment celui d'un grand-père maternel particulièrement dur et tyrannique, qui lui a inspiré en grande partie le personnage de James Brodie.
James Brodie est en effet ce qu'il convient d'appeler un tyran domestique : particulièrement imbu de sa personne (il se croit apparenté aux barons de Winton), d'un orgueil démesuré, il tient sa famille dans une poigne de fer : sa femme, effacée et malade, et ses trois enfants : Matt l'aîné, gâté par sa mère, Mary, dix-sept ans, volontiers rebelle, et Nessie, douze ans, la seule qui trouve grâce devant son père. Tout écart est sévèrement réprimandé, et quand je dis sévèrement, c'est vertement que je devrais dire. Matt et Mary l'apprennent à leurs dépens…
Réussir à tout prix et être bien vu de la bonne société, ce pourrait être un sujet de comédie, mais ici, c'est un sujet de drame et de tragédie.
Quand on regarde l'ensemble de l'oeuvre d'A.J. Cronin, on se rend aisément compte que si de temps en temps il y a des passages souriants ou même franchement comiques, le plus souvent nous avons affaire à des personnages malsains, vicieux, fourbes et hypocrites contre lesquels les héros, André Manson, Francis Chisholm, David Fenwick, Robert Shannon, et ici Mary Brodie, tous pétris d'idéalisme de bonne volonté, ne peuvent que s'écraser comme les vagues sur les rochers. S'ils s'en sortent à la fin (ce qui n'est pas toujours le cas), ils ne le doivent qu'à leur obstination à vivre coûte que coûte leur propre destinée, malgré les embûches. Cronin, dans la foulée de grands auteurs comme Dickens, est un maître du « mélo », mais pas celui qui « fait pleurer Margot », c'est le mélo vécu, réaliste, il n'y a aucun « effet » pour attirer la pitié ou la compassion du lecteur : celles-ci viennent naturellement à la seule évocation des faits. Et l'auteur fait passer son propre regard, généreux et affable, sur ses personnages.
C'est pourquoi Cronin reste un grand écrivain, même encore aujourd'hui. Peut-être même encore plus aujourd'hui, car les leçons qu'il nous donne (humanité, tolérance, amour, respect) n'ont pas d'âge.
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