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Critique de HordeDuContrevent


Ce livre, véritable bombe atomique, devrait être lu par tous pour soulever enfin le voile, le faire exploser, pour entrapercevoir l'étendue des dégâts possibles du réchauffement climatique dans quelques décennies. Pour mettre des images derrière ces mots galvaudés, devenus quasi ritournelles.
Conséquences sociétales, sur la faune et la flore, alimentaires, conséquences géopolitiques, économiques, et philosophiques. Etienne Cunge, biologiste de formation et expert dans le développement durable, aborde, sans ton moralisateur ni condescendance sucrée, ces multiples impacts de main de maitre. A la fois à l'intérieur de son épopée dans laquelle s'entremêlent quatre personnages au destin lié, mais aussi à chaque début de chapitre par ces extraits hallucinants d'une radio, « Radio Collapse », qui raconte des tranches de vie bouleversées par le changement climatique. Peuplades des bords de mer contraints de vivre sur un assemblage de bateaux, exilés climatiques désormais esclaves, lutte vaine de pompiers contre d'immenses incendies, mort terrible dans le dégel puis le bouillonnement du pergélisol, prolifération des méduses au détriment des poissons…Ce sont autant de petits nouvelles, des nanofictions, venant en préambule de chaque chapitre… effet garanti, à peine avons-nous terminé un chapitre, que le suivant nous happe tant ces préambules sont passionnants, prenants, glaçants ! Je suis épatée par le talent de conteur visionnaire et réaliste d'Etienne Cunge qui fait de cette bombe une symphonie !

Tout démarre en 2019, l'année où les événements extrêmes commencèrent à accélérer leurs manifestations et où l'épidémie due au Covid 19 se répandit, « associée au Grand Confinement, préparant le monde d'après, recroquevillé sur lui-même ». L'Ère de l'Effondrement à partir duquel désormais on compte le temps selon un nouveau repère. Nous sommes dans les années 50 de cette nouvelle ère. Une cinquantaine d'années constellées de marqueurs, dénommés les Grandes Plaies, au nombre de 5 : réchauffement climatique, désagrégation des écosystèmes, montée des eaux, incendies géants et le dernier en date : la rupture du cycle de la matière organique.

« Désormais, la nature n'offrait plus, dans la majorité des lieux, qu'un spectacle désolant pour le coeur et les yeux. le bord de mer plus que tout autre. Les terres, de leur côté, formaient un univers couvert de déchets organiques et d'amas spongieux de bactéries mêlés de champignons tentant désespérément de venir à bout de cette abondance. Parmi l'infinie diversité du vivant qui prévalait autrefois, seules quelques espèces invasives tiraient leur épingle du jeu de sélection massif en cours que l'homme lui-même avait déclenché dans sa poursuite du bonheur ».

Deux générations se côtoient désormais, celle qui est née avec l'Ère de l'Effondrement, qui a traversé les Cinq Plaies, traumatisée, souvent en proie au mal du siècle, la solstalgie, ce mal du pays sans exil, et les jeunes nés bien après, qui n'ont rien vécu d'autres. Un gouffre insondable les sépare.
Des questions éthiques insupportables, vous vous en doutez, sont soulevées. Elles portent essentiellement sur la question des réfugiés climatiques source d'une traite humaine qui traverse désormais un nouvel âge d'or. Elles portent sur la question de la nécessaire diminution de la population : la procréation, le traitement des handicapés et des personnes « âgées », c'est-à-dire des personnes ayant plus de 60 ans. Quand les européens incitent les familles à faire moins d'enfants en imposant des taxes croissantes après le premier enfant, les chinois ont de leur côté des méthodes plus radicales pour éliminer leurs anciens, en les incitant en effet à se suicider pour laisser la place aux jeunes et aux bien portants afin de ne pas devenir un poids économique et environnemental. Glaçant…

Les moindres gestes du quotidien sont appréhendés à l'aune de l'émission carbone qu'ils induisent, dissonance cognitive entre la responsabilité collective et la recherche culpabilisante d'un peu de plaisir dans ce monde devenu si triste :

« Il appelait depuis sa cuisine et le bruit d'un expresso en cours d'élaboration – un luxe incomparable – résonnait derrière lui. Elle ne put s'empêcher de penser à l'impact carbone d'un tel vice. Elle se trouvait pourtant des plus mal placés pour lui faire la leçon avec son amour du vin, des sous-vêtements chics et sa passion de l'époque disparue où chacun pouvait consommer sans modération… »

4 blocs géopolitiques, 4 puissances sont désormais les seuls maîtres du monde : les États-Unis, l'Europe, la Fédération de Russie et la Chine. L'Europe s'est lancée dans une décroissance imposée de telle façon par le gouvernement que les européens sont appelés des « écomunistes », ne sachant pas si ces contraintes fortes sont « les fruits d'une démocratie responsable affrontant une crise majeure ou ceux d'une dictature dissimulée sous les oripeaux d'une république peinte en vert »…La Chine et la Russie sont, elles, de véritables dictatures muselant fermement leurs populations. Seuls les États-Unis continuent dans leur lancée en ne changeant rien à leurs valeurs sociétales, en restant le plus gros consommateur d'énergie et de matériaux, en rejetant toute forme de loi bioéthique, avec la liberté comme principe de vie, notamment la liberté d'entreprendre. Les inégalités y sont à leur paroxysme.

Ces quatre puissances seules ont l'arme nucléaire (l'Inde, avec son milliards d'habitants, aussi se doute-t-on d'où un embargo à son encontre déployé), arme désormais présente dans l'espace et non plus sur Terre devenue sujette à de telles catastrophes que l'espace est un lieu désormais bien plus sécurisé pour l'abriter. Un équilibre de la Terreur représenté par 4 navires spatiaux dont vous pourrez facilement deviner les nationalités : le Putin, le Freedom, l'Esperanza et le Dragon de Jade.
Ces 4 puissances spationucléaires en apesanteur seront ébranlées cependant par les visées d'un milliardaire qui met tout en oeuvre pour voir aboutir son projet privé Surviving Tomorrow : créer des ilots, des bulles parfaites, sous terre, une chance de futur pour quelques riches privilégiés, le chaos et la mort pour les autres. Une sorte d'Eden, de renaissance que les politiques actuelles, en repoussant un peu les limites de régénération de la Terre bon an mal an, réduisent à néant, ou repoussent en tout cas à trop tard du vivant de cet entrepreneur obsédé par son projet.

« Vous imaginez déjà un monde glauque, éclairé par des néons grésillants, voire intermittents… Mais il va de soi qu'il n'en sera rien. La lumière naturelle, propagée partout grâce au plus grand réseau de fibres optiques au monde, parviendra jusque dans les villas, appartements et jardins les plus enfouis, à près de deux cents mètres sous la surface. Pour l'énergie, un système innovant de ventilation, inspiré des termites, exploitera les différences de température entre l'extérieur et les profondeurs, garantissant l'équilibre thermique sans injecter la moindre calorie, tout en assurant le renouvellement d'air et la production d'électricité grâce à l'implantation de microéoliennes. Pour l'eau, le recyclage intégral, plusieurs puits sur nappe profonde, la récupération des précipitations ainsi que des systèmes permettant de collecter l'humidité de l'air par condensation garantiront l'approvisionnement. Une alimentation saine et équilibrée pour tous proviendra de serres agricoles exploitées en permaculture et de matrices de croissance tissulaire pour la viande et le poisson. D'autres plantations produiront des biomatériaux, indispensables à la technologie comme à la vie quotidienne. L'ensemble ne générera presque aucun déchet ou rejet. Un cycle fermé sur lui-même, dans la limite permise par l'entropie ».

Ça vous fait rêver ? Alors réservez d'ores et déjà votre place sur Surviving Tomorrow. Si vous n'avez pas les moyens financiers, pas les aptitudes, ou le bon ADN permettant d'assurer la diversité génétique de ce futur paradisiaque, je vous en prie, « soyez écoresponsables, suicidez vous » !

Un grand merci à Etienne Cunge pour nous permettre, de façon haletante et brillante, de nous emparer de cette question terriblement actuelle, d'y projeter des images, de soulever des questions multiples. Quel foisonnement, quelle richesse, quelle angoisse aussi ! Un livre qui restera en moi et que je relirai sans aucun doute…Un livre à prêter ou à offrir pour échanger et changer !
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