Le miroir de Caïn, tome 2 : Le Purgatoire

Sortir du couvert de la verdure l’avait ébloui, tant l’éclat du soleil
était vif. Rajustant alors son chapeau et étrécissant son regard, le
promeneur se dirigea en direction de la côte, d’un pas décidé, au milieu
des arbustes épars. À une cinquantaine de mètres de l’eau, le terrain
devenait complètement sablonneux, il avait atteint la plage. L’homme
se déchaussa et abandonna ses souliers à même le sol, avant de
reprendre sa marche vers la mer. Le terrain était brûlant sous ses pieds,
mais il n’y prêta pas attention : il se sentait en harmonie avec le lieu.
Çà et là, des morceaux de bois charriés par les courants jonchaient la
berge, comme autant de marins échoués. Il s’arrêta au bord des flots
pour contempler l’azur infini qui s’étendait devant lui, des deux côtés
de l’horizon.
Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas.

Les deux visiteurs ne se retournèrent pas et sortirent sans
répondre. En traversant l’espace qui séparait la porte du Sint
Antoniespoort du canal du Klovonierburgwal, John Milton savait déjà
que la Confrérie des caïnites évoluerait dans le sens que souhaitait
Tulp. Son propre disciple avait été convaincu par son discours,
d’autres le seraient. Il n’avouerait cependant jamais que l’évocation de
Dante pour son surnom avait ravivé ses souvenirs pour lui offrir une
vision qui le troublerait le restant de ses jours. Ce théâtre d’anatomie,
de forme conique s’enfonçant dans les profondeurs, comportait neuf
niveaux au total. Sa topographie était ainsi en tout point semblable à
la géographie de l’Enfer selon Dante : un gigantesque gouffre dans le
sol, de forme conique et avec neuf degrés, causé par la chute de
Lucifer depuis les Cieux. Toutefois, si, chez l’Italien, Lucifer trônait au
fond de l’abîme, Tulp y plaçait le berceau de la connaissance.
Connaissance qui devait faire vaciller les Églises et les royaumes.
John Milton passa les jours en mer nécessaires pour rejoindre sa
terre natale à penser au péché d’orgueil. L’étincelle qui provoqua la
chute des anges. Et depuis des Hommes.

Paradoxalement, il lui semblait que plus sa vie se compliquait et plus sa vision devenait claire. Tout se passait comme si ses épreuves récentes l'avaient purgé de scories, délesté de poids qui l'empêchaient d'avancer auparavant.
Pensant avoir trouvé la meilleure des mauvaises solutions possibles, pour accomplir un objectif auquel il s'était destiné, il prit sa décision. S'emparant dans la poche de son veston de la carte qu'Isabella lui avait donnée avant de quitter le cimetière, Beauchemin composa le numéro qui s'y trouvait. Sans surprise, ce fut Isabella qui répondit à l'appel. Sans surprise également, elle était certaine qu'il lui téléphonerait. Une fois échangées les politesses d'usage et deux trois piques provocatrices de bon aloi, les deux anciens amants se fixèrent rendez-vous : trois jours plus tard, dans un café de Strasbourg, le vendredi 2 octobre, en début d'après-midi. Exactement au même endroit que celui où Malebranche avait, tout au début de leur affaire, rencontré Raphaël. La boucle était bouclée, un second cycle commençait.

Le coffre devait sans doute se trouver dans un endroit lié au monde judéo-chrétien et gréco-romain dont la doctrine caïnite était issue, pensait-il. Rome et Constantinople présentaient l'avantage de symboliser le lien entre la Terre et les Cieux, d'être le siège d'un pouvoir religieux universel et d'être géographiquement bien placées dans le monde culturel des caïnites. Mais n'étaient-ce pas là, dès lors, des choix trop évidents, trop convenus ? Il se posa aussi la question de Prague, à cause d'Umberto Eco. Celui-ci avait donné pour titre 'Le cimetière de Prague' à une histoire qui n'avait que très peu de liens avec cette ville, et le choix du titre l'avait toujours étonné. Peut-être était-ce un de ces secrets que le romancier avait dévoilés, provoquant l'ire des caïnites ? Raphaël en doutait néanmoins. Même si la capitale tchèque était une place magnifique à visiter, il ne voyait rien qui permettait de la relier à des notions telles que l'axe du monde. Non, il décida de creuser le lien potentiel des deux Cités impériales antiques avec Caïn.

Les deux visiteurs ne se retournèrent pas et sortirent sans
répondre. En traversant l’espace qui séparait la porte du Sint
Antoniespoort du canal du Klovonierburgwal, John Milton savait déjà
que la Confrérie des caïnites évoluerait dans le sens que souhaitait
Tulp. Son propre disciple avait été convaincu par son discours,
d’autres le seraient. Il n’avouerait cependant jamais que l’évocation de
Dante pour son surnom avait ravivé ses souvenirs pour lui offrir une
vision qui le troublerait le restant de ses jours. Ce théâtre d’anatomie,
de forme conique s’enfonçant dans les profondeurs, comportait neuf
niveaux au total. Sa topographie était ainsi en tout point semblable à
la géographie de l’Enfer selon Dante : un gigantesque gouffre dans le
sol, de forme conique et avec neuf degrés, causé par la chute de
Lucifer depuis les Cieux. Toutefois, si, chez l’Italien, Lucifer trônait au
fond de l’abîme, Tulp y plaçait le berceau de la connaissance.
Connaissance qui devait faire vaciller les Églises et les royaumes.
John Milton passa les jours en mer nécessaires pour rejoindre sa
terre natale à penser au péché d’orgueil. L’étincelle qui provoqua la
chute des anges. Et depuis des Hommes.