Le roman de Ian de Curières, le Miroir de
Caïn, surprend par son originalité et son érudition : son héros, Raphaël, à cause de son amour et de sa connaissance de l'oeuvre de
Umberto Eco, se trouve introduit dans un Cercle d'intellectuels sur lequel règnent une voluptueuse libraire et un mystérieux dandy.
Sa vie familiale avec sa routine quotidienne se trouve rapidement bousculée par les recherches et les découvertes qu'il fait à propos d'une mystérieuse et fort ancienne secte de
Caïnites et de sa rivale, tout aussi ancienne et mystérieuse, des Veilleurs.
La dimension ésotérique et mystique de l'intrigue se déploie habilement et ouvre au lecteur des perspectives passionnantes ; les temps bibliques et les évangiles apocryphes, l'enfer de
Dante, les poètes anglais et français des XVIIIe et XIXe siècles y jouent un rôle important et pas seulement littéraire.
Ian de Curières introduit avec brio ces hérésies et leurs ramifications dans les aventures très contemporaines de son héros, père de deux adolescents et mari naïf d'une femme bien d'aujourd'hui.
Leur prolongement actuel est intéressant en cela qu'il met en scène la confrontation du Bien et du Mal au-delà de la morale ; Raphaël est persuadé d'être du bon côté, mais est-ce si sûr ? Ainsi, n'a-t-on pas voulu l'aider "à éclaircir sa nature et à agir en conséquence, à se libérer de ses inhibitions" ? En filigrane, l'auteur met en jeu des relations humaines soumises à des rapports secrets de domination ( les éclairés, ceux qui savent, et les autres). Et, dans cette optique, le lecteur fera bien de se méfier et d'avoir une lecture méticuleuse ! Tout est important !
Des intermèdes dans le passé nous rappellent combien les artistes du XIXe s'intéressaient aux nouvelles découvertes, comme le galvanisme et aux sciences occultes telles que la nécromancie. Nous revivons ainsi les soirées de la villa Diodati avec
Lord Byron et les Shelley. Ces retours dans le passé nous donnent envie de (re)lire les poètes anglais,
Baudelaire et certaines oeuvres de Hugo ; artistes dont des citations émaillent l'intrigue avec adresse. Mais l'auteur puise également dans un autre répertoire, très inattendu, des citations ou des accompagnements tout aussi percutants :
Nick Cave, Black Sabbath, les Rolling Stones ...
Qu'une querelle d'initiés qu'oppose la grave question de la création du monde et qu'animent des débats sur Lucifer, les Anges déchus, Jésus, Judas,
Caïn, qu'une querelle qui a traversé vingt siècles, donne naissance à une intrigue policière particulièrement cruelle est un magistral tour de force.
Nous suivons la quête ardente de Raphaël dans la ville de Strasbourg, et ses trésors architecturaux ou gastronomiques, sans pouvoir lâcher le livre. Les personnages ne sont pas ce qu'ils paraissent être, ils nous surprennent ou nous inquiètent.
L'auteur émaille son récit de réflexions sur le monde d'aujourd'hui qui sont sans complaisance et traduisent son attachement à notre histoire et à sa transmission.
Sous une apparence linéaire, presque plate, qu'on pourrait comparer à la "ligne claire" en BD, l'auteur réussit cette prouesse de glisser indices, chausse-trappes et fausses pistes d'une façon si construite et si habile qu'on a souvent envie de revenir en arrière pour comprendre où on s'est laissé distancer ; dans les récits des rêves de Raphaël par exemple.
Un roman haletant, parfaitement original, et qui nous réjouit parce qu'il exige que nous soyons intelligents.