Un livre que j'avais déjà remarqué puis oublié et qui m'a été remis en mémoire par Sandrine. Les circonstances de ce livre sont stupéfiantes :
Joseph Czapski faisait partie des officiers polonais capturés par les soviétiques alors qu'ils voulaient combattre les nazis. Ce fut une conséquence du pacte Germano-Soviétique et comme la Russie a fini par le reconnaître en 1990, environ 30 000 officiers polonais furent tués par balle à Katyn.
Joseph Czapski fait partie des quelques survivants, il ne sait pas ce que sont devenus ses amis. Voici ce qu'il dit dans son introduction
Nous étions soixante-dix-neuf de Starobielsk sur quatre mille. Tous nos autres camarades de Starobielsk disparurent sans laisser de trace.
Au camp-goulag de Grazowietz plutôt que de se laisser aller, avec ses amis, il organise des conférences sur les spécialités des différents intellectuels polonais prisonniers. Lui est peintre, il avait découvert l'oeuvre de
Proust à Paris et décide donc de le présenter à ses camarades. de mémoire, car bien sûr il n'a pas de livres avec lui, il fait une présentation très fine de « la Recherche ». C'est très émouvant de s'imaginer ces pauvres hommes réduits à la condition de « zek » par la vie dans un goulag russe, écoutant ses conférences :
Je vois encore mes camarades entassés sous les portraits de Marx, Engels et
Lénine, harassés après un travail dans un froid qui montait jusqu'à quarante cinq degrés, qui écoutaient nos conférences sur des thèmes tellement éloignés de notre réalité d'alors.
Je pensais alors avec émotion à
Proust, dans sa chambre de liège, qui serait bien étonné et touché peut-être de savoir que vingt ans après sa mort des prisonniers polonais, après une journée entière passée dans la neige et le froid qui arrivait à quarante degrés, écoutaient avec un intérêt intense l'histoire de la duchesse
De Guermantes, la mort de Bergotte et tout ce dont je pouvais me souvenir de ce monde de découvertes psychologiques précieuses et de beauté littéraire.
Quel plaisir de partager avec lui les souvenirs de cette oeuvre si particulière ! il fait revivre Swann, la duchesse
De Guermantes et Bergotte et mieux que je ne saurais le faire, analyse l'importance de Bergson chez
Proust en particulier pour cette notion du temps dans son oeuvre. Il balaie d'un revers de plume l'accusation de snobisme (qui d'ailleurs n'est plus guère de mise aujourd'hui). Il trouve même dans la recherche des accents pascaliens, je n'ai pas très bien compris pourquoi.
Joseph Czapski est un artiste peintre de talent et il possède une culture personnelle d'un autre temps.
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