Dans le bus, je veille à ce que la femme avec son enfant, la femme enceinte, la femme âgée ait une place.
Je porte mon attention exclusivement sur les femmes.
Je me sens obligée de jouer à la justicière, de défendre les autres, de parler à leur place, de porter leurs paroles, de les rassurer, de les sauver.
Je m'appelle Fatima.
Je porte le nom d'un personnages symbolique en islam.
Un nom auquel il faut rendre honneur.
Un nom que j'ai déshonoré.
Je dis mon amour tout bas, les yeux remplis de larmes, la voix tremblante, le cœur lourd. Je jure de ne plus recommencer, d'être à la hauteur, d'alimenter ma foi, de cultiver ma croyance et mon adoration.
Je jure sans promettre.
Pourtant, il y a cette voix derrière, qui prend toute la place.
C'est comme si c'était une partie de moi, non, quelque chose de plus fort, de plus grand, mon double. Le double qu'on ne peut pas faire taire...
Je me sens obligée de jouer à la justicière, de défendre les autres, de parler à leur place, de porter leurs paroles, de les rassurer, de les sauver.
Je n'ai sauvé personne, ni Nina, ni ma mère.
Ni même ma propre personne.
Je crois que c'est terrible de dire "Je t'aime".
Je crois que c'est aussi terrible de ne pas le dire. De ne pas réussir, s'en empêcher.
L'amour, c'était tabou à la maison, les marques de tendresse, la sexualité aussi.
Je m'appelle Fatima.
Je regrette qu'on ne m'ait pas appris à aimer.
Ce que je raconte, c'est décousu, flou et troué de silences (en parlant de ses séances chez la psychologue)
« Je m’appelle Fatima .
Je suis une petite chamelle sevrée.
Je suis la mazoziya , la dernière .
La petite dernière .
Avant moi , il y a trois filles .
Mon père espérait que je serais un garçon .
Pendant l’enfance , il m’appelle « Wlidi » , mon petit fils » …
Je cherche une stabilité. Parce que c’est difficile d’être toujours à côté, à côté des autres, jamais avec eux, à côté de sa vie, à côté de la plaque.
Je crois que je communique mieux qu’avant. J'arrive à dire “ça me fait plaisir que…”, “merci pour…”, “j’ai aimé passer du temps avec toi”, mais j’ai encore l’impression d’en dire trop. Parfois, j’exprime mes émotions avec distance et retenue. Parfois, ça ne donne rien. Parfois je me bloque. Je me tais. Parfois, je parle trop.