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Critique de berni_29


Notre besoin de consolation est impossible à rassasier est un texte bref, écrit par Stig Dagerman, auteur suédois, décédé en 1954 à l'âge de trente-et-un ans.
J'ai découvert ce texte puissant sur une scène brestoise, je ne sais plus en quelle année, sans doute il y a plus de dix ans déjà, j'étais venu voir les Têtes Raides, un groupe musical français que j'aime beaucoup, et brusquement il y a eu ce moment très fort du concert où le chanteur a déclamé le texte dont je vous parle ici. Par-delà les mots, nous aurions presque pu entendre une mouche voler, tant nous étions suspendus à cette voix.
J'ai attendu longtemps avant de vous en parler.
Plus tard, très longtemps après, j'ai eu l'occasion de croiser ce texte. À deux reprises.
La première fois c'était il y a près d'un an, à l'occasion du départ en retraite de la directrice de la médiathèque de ma commune, citant notamment quelques phrases de ce texte pour dire le sens qu'elle avait mis dans son engagement professionnel en lien avec son parcours de vie.
Et la seconde fois, en appréciant sur Babelio la très belle chronique de Samia. Je la remercie profondément.
J'ai donc lu, relu, redécouvert ce texte.
Ce texte est immense. Je ne sais pas comment on peut donner une dimension à un texte, sauf à se pencher sur lui comme on se penche au-dessus du vide ou bien comme on s'allonge sur le terreau d'une forêt pour chercher des morceaux de ciel à travers la cime la plus haute des arbres.
J'ai aimé ce texte, je l'ai aimé immensément. Il est plein de désespoir, forcément de vie aussi. Je suis entré dans ce texte en perdant pied dès les premières pages, les premières phrases. Puis, je me suis accroché au bastingage, la certitude du pas est venue plus tard. C'est un peu comme lorsqu'on se promène un jour de tempête sur un quai en Bretagne en bord de mer et qu'on se laisse surprendre par la première vague.
J'ai aimé ce texte comme une consolation. La consolation est une nécessité.
Est-il possible de ressortir de ce texte avec une autre manière d'appréhender la vie, en clair plus réjouissante ? de mon point de vue, je le crois.
Les chants les plus désespérés ne sont pas forcément les plus vains. Et le chemin qui amène Stig Dagerman vers une impasse n'est pas forcément à prendre à la lettre.
Tout au long de ce court livre, les mots oscillent dans cette ambivalence entre liberté et déterminisme.
Ce livre est paradoxal et dévoile aussi des paragraphes beaux, constituant une raison de vivre.
À un moment du texte, Stig Dagerman écrit « Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux ». Je ne suis pas d'accord avec cela et pourtant je comprends le propos, derrière cette phrase l'auteur évoque l'absence de repère pour donner un sens à sa vie.
Mais les repères permettant de donner un sens à la vie sont multiples et ne sont pas forcément religieux. Les laïcs, dont je fais partie, ont clairement des repères permettant de donner sens à leur vie. Nous voyons que les repères républicains sont aujourd'hui fortement bousculés. Ce texte ne prend pas une ride.
C'est un texte assoiffé de sens.
Il y a peut-être deux manières de se consoler du désespoir : vivre ou mourir. Stig Dagerman a choisi de mourir. Mais son texte nous invite à autre chose, l'idée de faire un pas de côté si l'on décide de vivre.
C'est toujours en faisant un pas de côté que nos maux ont une chance de se résorber. Faire un pas de côté et regarder celui que nous sommes. Regarder les perspectives, le champ des possibles, un autre chemin.
Stig Dagerman a pensé que son destin était inéluctable. Il était pessimiste, évoquant une forme de solitude. Il a mis fin à ses jours. C'est son choix.
Ce petit texte pose de magnifiques questions. Ce texte est grand car ses questions agrandissent notre regard, notre vision du monde, ce que nous sommes, d'où nous venons, où nous sommes capables d'aller avec ce fardeau ? Car c'est bien d'un fardeau dont il s'agit. Notre vie est un fardeau. Après, il est possible en chemin de l'alléger. C'est d'ailleurs peut-être l'un des ultimes buts de notre vie : alléger ce poids, s'alléger en avançant dans notre vie.
Faire un pas de côté, ce pas de côté qui a terriblement manqué à l'auteur.
La question de la liberté se pose ici, brutalement, donnant une raison de vivre ou pas.
Je retiens que ce texte est d'une très grande humanité, pose les questions essentielles. En écoutant ces questions, tout semble, à côté, dérisoire et bruyant. Ce texte devrait être étudié à l'école. Peut-être l'est-il déjà ?
Lorsque l'auteur écrit à la fin : « le monde est donc plus fort que moi. », il indique simplement un choix personnel.
Le texte est magnifique parce qu'il pose notre condition de mortel. Il tente de répondre à un questionnement, ouvre des perspectives, l'auteur a trouvé une réponse qui lui appartient.
Il nous appartient d'en trouver d'autres.
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