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Critique de lettres_et_caracteres


Comme beaucoup de lecteurs devenus jurés, je me suis lancée dans cette aventure des prix littéraires pour découvrir des romans qui n'auraient jamais croisé mon chemin autrement et pour dénicher des pépites. Aujourd'hui, c'est le coeur lourd que je vous présente le roman que je considère comme la pépite du Landerneau 2019 : Mur méditerranée de Louis-Philippe Dalembert.

Je ne peux pas dire que j'ai été heureuse de lire ce roman tant son thème est dramatique et son traitement bouleversant mais ce qu'il a remué en moi est exceptionnel, à tel point qu'il vient de rejoindre mon Panthéon personnel.

Lorsque j'ai reçu les finalistes du Landerneau, j'ai mis Mur méditerranée tout en bas de la pile tellement je rechignais à le lire. Je redoutais de tomber dans une intellectualisation du sujet si brûlant des migrants. J'avais peur de lire un roman beau mais qui ne me toucherait pas. Un roman dont l'esthétisme prendrait le pas sur l'humain. Finalement, il ne m'a pas fallu plus de la première page pour comprendre que cet auteur était fait pour raconter cette histoire. Avant même de faire connaissance avec les trois héroïnes de son récit, j'ai été frappée par une forme d'évidence : je tenais entre mes mains un roman qui allait me marquer à vie. La plume de Louis-Philippe Dalembert a été une révélation, un émerveillement pour moi. J'y ai trouvé tout ce qui me touche et m'émeut dans l'écriture : de la fluidité, une certaine musicalité, un sens du rythme qui ménage ses effets, de la modernité, de l'empathie pour ses personnages autant que pour ses lecteurs. Une écriture cristalline et profondément humaine qui sait se faire oublier pour servir l'histoire et ses personnages. Cet avis est très personnel mais j'ai trouvé que Louis-Philippe Dalembert faisait preuve d'une réelle humilité dans sa démarche en ne cherchant pas à faire des effets de style ou à rendre plus littéraire son récit, bien au contraire c'est son naturel qui m'a tant séduite et que je retrouve si rarement chez ses contemporains.

Mais aussi belle soit-elle, cette plume ne peut pas faire oublier l'effroyable récit qu'elle a servi. Car c'est bien en enfer que nous convie l'auteur. Celui de ces hommes et de ces femmes prêts à abandonner leur vive, à sacrifier tout ce qu'ils avaient pour espérer un avenir à peine meilleur. Pour rendre hommage à ces milliers de migrants qui tentent chaque année la traversée de la méditerranée, l'auteur a fait le choix de nous relater l'histoire de trois femmes qui, en plus d'être embarquées dans le même bateau, on en commun une force de caractère extraordinaire. Chochana, juive et Nigériane et Semhar, Erythréenne, se rencontrent dans des conditions sordides au fin fond d'un entrepôt dans lequel sont stockées les femmes candidates à la traversée, le temps pour elles de réunir les fonds nécessaires pour payer des passeurs toujours plus gourmands. Ce qu'elles vont vivre dans cet espace confiné donne la nausée et il est même difficile d'imaginer qu'elles en sortent en vie et saines d'esprit. Pourtant elles tiendront bon, leur projet en ligne de mire, l'espoir chevillé au coeur.

Dima n'a pas vécu ce confinement terrifiant. Elle et sa famille font partie des Syriens aisés qui décident de fuir leur pays pour offrir à leurs enfants, ce que leur pays ne peut plus leur garantir : la sécurité. Pour elle et son mari, ça n'est qu'une question d'argent et d'argent ils n'en manquent pas. C'est donc confiante qu'elle embarque sur le chalutier à destination de Lampedusa, cette île italienne symbole d'une nouvelle vie. Confiante et avec un profond mépris pour ces migrants de seconde zone, ces singes de Nigériens et autres parasites qui voyageront en cale pendant qu'elle et les siens voyageront sur le pont. Même en enfer on peut exiger de voyager en première classe…

Mur Méditerranée tient son origine d'un drame survenu en 2014. Hasard sordide, j'apprends ce matin aux informations qu'un nouveau bateau de migrants à fait naufrage cette nuit au large de Lampedusa. Deux corps ont été repêchés et 25 personnes sont portées disparues dont huit enfants. Je lis « La Méditerranée est devenue la voie maritime la plus dangereuse du monde. Depuis le début de l'année, au moins 1041 hommes, femmes et enfants sont morts en tentant la traversée depuis les côtes d'Afrique du Nord pour gagner l'Europe ». Ce matin, pour la première fois, je mets des noms et des histoires sur ces disparus, ce fait divers prend une toute autre réalité. Il est évidemment triste qu'il me faille un livre pour m'amener à cette prise de conscience mais c'est aussi à cela que sert la littérature. Demain, à Paris, c'est en tout cas pour cette raison et avec cette actualité dramatique en tête, que j'irai défendre Mur Méditerranée.


Lien : https://www.lettres-et-carac..
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