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Critique de MaxSco


J'ai adoré la littérature singulière de @Myriam Dao. J'ai adoré sa prosodie, son acuité, sa façon de suggérer les choses qui, paradoxalement, nous les rend d'autant plus réelles. J'ai aimé la construction de son roman et sa façon d'enrichir son art littéraire par la photo et la peinture. @Zao, un mari n'est pas un roman classique. Rapidement j'ai pensé à la peinture impressionniste tant la plume de cette auteure est légère et à la fois si persuasive. @Myriam Dao nous emmène, petites touches par petites touches, jusqu'à l'essence des choses. L'essentiel. Rien ne vient parasiter son écriture sobre, tout en retenue et tellement puissante. Les sensations transmises ainsi nous touchent et nous remuent jusqu'au fond de notre être. C'est avec finesse et pudeur que @Myriam Dao nous met face à la violence, raciale, sociale, sexiste ; la violence qui bouillonne, monte, éclate et détruit. En silence ou non. L'écrivaine réussit à ce que nous sentions ce tourbillon, soyons anéantis par sa force et également capable de briser les ailes des personnages. Dans @Zao, un mari, les mots sont comme comptés. Les pages sont courtes, les chapitres sont courts. C'est le coeur des choses que nous devons voir ; c'est au coeur des évènements que nous devons être. Des descriptions de photos scandent le roman. Instantanés de vie, bruts, réels, témoins d'une histoire qui s'étire sur des années. Des années qui passent. Une vie entière qui passe. Une vie.

@Zao, un mari est l'histoire de deux jeunes gens tout juste mariés qui quittent l'Indochine pour aller vivre à Paris. le roman, sur plusieurs plans, se situe à un tournant de l'histoire. Les femmes commencent à s'émanciper. le mouvement féministe prendra réellement forme en 1968 mais déjà, les mentalités ont commencé à bouger. La colonisation du Vietnam va bientôt prendre fin et tout un monde sépare la vie là-bas de celle de Paris.

Les jeunes gens arrivent pile à ce moment-là, n'ayant en commun que le fait d'être nés et d'avoir vécu sous les mêmes latitudes. le malentendu est dès le départ le partenaire tenace de leur vie commune.
L'homme, Zao, est « un mari ». Nous le savons. Elle, sa femme, est « la Blanche ». Jamais nous ne connaîtrons son prénom. Elle est une étrangère, sans individualité. Pour les parents de Zao, cette union avec leur fils était catastrophique mais Zao ne voulait pas de l'avenir tout tracé qu'ils avaient prévu pour lui. Formaté, persuadé par les colonisateurs de la prééminence de la France quel qu'en soit le domaine, épouser « une Blanche » représentait le Graal, la possibilité d'accéder à ce monde si admirable. C'était pour Zao comme un fantasme, un secret inavoué. Et ce souhait si cher se réalise.
Elle, « la Blanche », est déjà enceinte de Zao et ce sont les parents de ce dernier qui s'occupent du mariage, puis leur donnent de quoi s'exiler à Paris.
Elle, seulement âgée de seize ans, a connu bien trop tôt les vicissitudes de la vie, sa dureté, son inhumanité. Elle ne fait pas partie de la « bonne société » coloniale. Elle est au ban de ce monde rance, oisif et superficiel qui va bientôt s'écrouler. Sa mère l'a élevée seule, dans la précarité. Sa fille a dû travailler elle aussi. Reflet des classes populaires privées d'éducation et, double peine, frappées du sceau de l'indignité.
« La Blanche » rêve d'un mari qu'elle admirerait, qui la protégerait et lui permettrait de quitter son milieu. Une épaule sur laquelle s'appuyer. Zao représente tout le contraire de ce qu'elle est. Il est éduqué, instruit, cultivé et bénéficie même des services d'un chauffeur. Sa famille est riche et considérée. Il a une situation incontestable dans cette société qu'il s'apprête à laisser derrière lui.
Tous les deux prennent le bateau avec optimisme ; chacun espère une vie meilleure et plus intéressante.
Or, c'est un aller simple vers la déconstruction et la destruction qui les attend.

Dès son arrivée, Zao côtoie le racisme et la discrimination au quotidien. La chute de statut est rapide et brutale. Professionnellement, il a eu un espoir. La scène géopolitique est bien obligé de lui retirer son emploi à l'Ambassade et dès lors, Zao va aller de charybde en scylla. L'enfant qu'ils attendaient a agrandi leur foyer. C'est une petite fille. Il y en aura une autre. Deux enfants qui, discrètement, devront supporter les conséquences des dissensions et des comptes à régler de leurs parents. Plus tard, les filles jugeront. Mais pour finir, c'est une famille qui se délite. Peu à peu, le couple voit sa complicité disparaître, le dialogue devenir impossible et les mauvaises interprétations précipiter les disputes. La méfiance s'est immiscée de chaque côté. le ressentiment de Zao, c'est sur sa femme qu'il le projette. Il ne voit pas la détresse dans laquelle elle vit. Et s'enfonce. Zao est un étranger à Paris. Il l'est devenu pour sa famille d'origine. Sa femme lui est étrangère mais lui-aussi est devenu un étranger pour elle. Elle se sent étrangère au sein de son propre foyer. Elle se sent bouffée par son mari. Lui se sent phagocyté par sa femme. L'un et l'autre ne se rencontreront jamais. Ils ne cesseront de vivre l'un à côté de l'autre, à côté de leur vie. Sombreront tous les deux.
Zao, intellectuel, a vite compris que l'instruction donnée par les colonisateurs aux autochtones était comptée à l'aune de leur besoin de domination. Il est victime d'un racisme systémique, odieux, inadmissible, injustifiable mais, à la différence de sa femme, il n'est pas seul, il peut agir, les siens pourront agir. Par la culture, il possède des graines d'émancipation. Sa femme n'a rien. Elle est assignée au rôle que Zao veut bien lui donner. Et elle symbolise dorénavant tout ce qui ne va pas dans leur famille. Ils s'en veulent de cette vie, l'un et l'autre. Il est impossible pour Zao, tellement centré sur lui-même de voir sa femme, de la regarder, de l'envisager. Et elle, crève littéralement de la destruction de son couple, des mésententes, de la peur de ne plus pouvoir nourrir ses enfants. Et elle crève de ne jamais pouvoir s'exprimer, dire, être vue. Zao se comporte comme s'il avait le monopole de la souffrance liée à la couleur de sa peau. Mais il se trompe : la discrimination et le mépris, c'est dès l'enfance que sa femme y a été confrontée. Et ensuite, toujours, par des regards salaces, des horreurs qui sortent des bouches viriles, des gestes déplacés. Mais Zao, aveugle, ira jusqu'à s'approprier sa maladie. Il lui a tout pris, ses maux et ses mots. Et bien sûr, l'émancipation des femmes n'est pas pour elle. Cet homme est d'une misogynie consternante. Les revendications féministes lui semblent une hérésie. Quelque chose qu'il ne peut concevoir.

@Myriam Dao capture chaque nuance de la vie de ses personnages et nous offre un livre d'une richesse inouïe. Elle suggère et c'est la réalité qui domine. @Zao, un mari est un livre âpre également parce qu'ainsi est la vie. Il est aussi dense et sobre.
Comme l'époque, tout vacille autour de ce couple, de cette famille mais Zao ne soutiendra pas sa femme. Il ne sera pas le bras sur lequel elle pensait pouvoir toute sa vie s'appuyer. Elle en rêve, « la Blanche », de « prendre sa vie en main » ; elle se répète que « son corps lui appartient » ; elle entend parler de la contraception et cependant, rien n'est possible, rien ne va comme elle le souhaiterait. Comme si le moment n'était pas propice dans cet « entre-deux » de la période d'après-guerre. Elle représente certainement beaucoup de femmes de cet « entre-deux ».

Je vous laisse découvrir la si émouvante et superbe fin de ce livre où la femme, « La Blanche », a le courage de s'exprimer. Quelle perspective pourrait être envisagée ? Est-il possible d'en trouver une ?

@Zao, un mari est un roman que j'ai lu en deux jours. Les dernières pages sont poignantes. @Zao, un mari est un bijou de littérature. D'humanité. de prise de conscience. de courage. Et ce roman nous rappelle enfin qu'il faut être vigilant(e), toujours. Ce qui nous semble acquis et indéboulonnable, hélas, ne l'est pas.


Merci à toute l'équipe BABELIO, merci à Myriam Dao pour avoir commis un tel ouvrage et merci aux Editions des femmes, Antoinette Fouque. Auteure nouvelle, Maison d'édition nouvelle que je vais désormais suivre avec intérêt. Merci. Merci mille fois. A la rentrée des vacances scolaires, Zao, un mari est déjà réservé pour une étudiante. Ce roman va être lu par d'autres que moi, des jeunes gens très sensibles aux problématiques évoquées et au style dont tant bien que mal, j'ai essayé de décrire à l'oral ! de nombreux échanges et de la réflexion m'attendent. Et ce sera encore du bonheur pour moi !
@Zao, un mari : une pépite. A lire. Absolument.






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