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Critique de ntchoubis


« Ah ! comme la vie est brève et interminable dans sa brièveté ! »
(San-Antonio «La vieille qui marchait dans la mer»)

Je savais qu'en dehors des aventures du commissaire, l'écrivain a utilisé le pseudonyme San-Antonio pour une dizaine de romans n'ayant aucun rapport avec le commissaire, Bérurier et et tout le toutim. En les lisant je fais d'une pierre deux coups: je continue non seulement mes lectures (et mes essais, évidemment) mais aussi ma progression dans la liste féconde des oeuvres de Frédéric Dard.

Et c'est ainsi que j'ai fait connaissance avec le livre qui s'intitule «La vieille qui marchait dans la mer».

Lady M. est un vrai crack en arnaque. Presque toute sa vie elle plume et fait chanter avec élégance les riches de tout poil. Pompilius est son complice dans toutes ces escroqueries. Il porte aussi le titre de son ancien amant et de l'ancien diplomate roumain. On dirait Bonny and Clyde, mais Lady M etPompilius sont des vieillards âgés plus de quatre-vingt ans…

L'action commence en Guadeloupe, où nos octogénaires sont en train de triturer le victime suivant. Pour calmer l'arthrose qui la martyrise, Lady M marche dans la mer, couverte de bijoux, appuyée sur une canne, au bras de Lambert, un moniteur paresseux, qui ne sait que faire de sa jeune vie. A la fin de chaque promenade, Lady M lui glisse un billet de 500 Francs dans son slip de bain.

Un beau jour, elle se fait voler l'émeraude par ce jeune plagiste. Au lieu de punir Lambert, elle décide de le prendre sous son aile, de le faire partager leur vie d’aventure et de le former à l'arnaque.

"— Bien que je sois très riche et très âgée, je suis toujours d'une activité débordante, selon l'expression consacrée. Je n'ai personne au monde, sinon ce compagnon presque aussi vieux que moi. Il fut mon amant : il est resté mon complice. Il ne me déplairait pas d'avoir un dauphin à défaut d'enfant. Quelque chose me dit que nos existences, à vous comme à moi, y gagneraient. Je vous ferais découvrir l'aventure, Lambert. Et vous, eh bien vous me réchaufferiez de votre présence. Si vous acceptiez, au début, Pompilius vous fera la gueule, mais il s'habituera et je gage qu'il finira par éprouver de l'amitié pour vous. Non seulement vous êtes un être disponible, mais de plus, vous êtes un homme en peine. A quoi bon filer du mauvais coton dans cette île pour cadres supérieurs en congé ? Les Antilles, quand on n'est pas créole, c'est huit jours de vacances et rien de plus. Moi, j'y suis venue pour une affaire, Lambert. Sitôt qu'elle sera traitée, je repartirai. Voulez-vous faire un essai et venir avec nous ?"

Ainsi naît un trio biscornu: primo, Lady M, une haridelle et une carne, deuxio, Pompilius, «Lord Ducon», «diplomate de mes fesses» et, tertio, Lambert, un «jeune godelureau chapardeur». A travers les pages de «La vieille qui marchait dans la mer», ce couple de truands va écumer l'Europe, résister aux efforts des détectives pas tombés de la dernière pluie, et s'aborder même à la Cosa Nostra...

C'est bien intéressant de comparer l'écriture de Frédéric Dard des années 50 (je suis en train de lire ces san-antonio de cette période-là) avec celle des années 80 («La vieille qui marchait dans la mer» a été écrite en 1988).

Dans «La vieille qui marchait dans la mer» je vois déjà un maître qui se focalise avec finesse sur l'intrigue, le langage coloré et des personnages frappants, crus et émouvants à la fois.

C'est une histoire à double fond, un roman où l'aventure, comme une couche superficielle, jouxte et cache le désespoir, la vieillesse et la démence. La vieillesse sans fard est le thème principal du roman, l'odyssée des escrocs est fait partie du décor, pas plus. C'est pas du tout un roman de suspens, plutôt un roman psychologique et dramatique, un roman des moeurs.

Lady M, héroïne principale du livre, vit dans un passé qu'elle réinvente. Comme Shéhérazade, elle cache mille et une histoires, elle se file des souvenirs mais peu à peu elle retombe en enfance… Drôle d'ironie de vie!
Lady M a quelque chose de Méphistophélès. Peut-être c'est son allure, sa verve physique ou son jeu auprès des gens qu'elle se fait plumer. Elle est comme un caméléon qui change à tout moment. Sa solitude, sa futilité d'âme sont encore des traits soulignant ses racines infernales:

"— Ce n'est pas ta tante, n'est-ce pas? demanda Noémie. le diable n'a pas de famille."

Mais elle est de la nature humaine, car ses soliloques, sa auto-confession sont sa seule source de rétablissement, «son jardin secret, un coin de soi où l'on peut se libérer l'intime et cracher sa vapeur». C'est un système des monologues intérieurs, des confesses sans vergogne, sans retenu, à la brutale auprès du Seigneur. C'est le moyen stylistiquement truculent pour trancher le for intérieur de Lady M et puis de Lamber devenu son élève assidu.

« Ô mon Dieu ! Mon Dieu ! ne permettez jamais que je renonce ! Faites que toujours subsiste cette louche faim d'amour ! Cet émoi qui me préserve de la mort ! Cette attente infernale qui accélère les battements de mon coeur ! Je suis une vieille salope, Seigneur ! Une femelle sans chaleurs qui n'a plus que de tristes approches pour combler son vieux cul défoncé ! Gardez-moi cette pitoyable fringale de chair fraîche, Dieu d'infinie bonté ! »

Des répliques savoureuses et inventives sont encore un point fort, surtout les dialogues jouissifs et grotesques entre Lady M et Pompilius, devenu un hymne à la désinvolture, au sarcasme et à la grossièreté.

Le tempo et le sujet ficelé, le style vif, tranchant et drôle, le language coloré sont les traits qui unient tous les romans signés San-Antonio, polars ou non. Si vous voulez voir un San-Antonio mûr, connaisseur, «La vieille qui marchait dans la mer» est un choix impeccable.

À titre de conclusion, je voudrais dire que j'ai passé un très bon temps avec ce roman, un peu cru, grinçant, parfois dérangeant, sur le désespoir de vieillir quand on a mal vécu.

4.0/5
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