AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Musa_aka_Cthulie


Oui, oui, on continue avec l'Art Brut ! Cela dit, compliqué de parler de ce petit livre, car il ne s'agit que d'un élément parcellaire de l'oeuvre de Henry Darger, aussi bien plastique qu'écrite.


J'ai eu vaguement connaissance de cet artiste brut au début des années 2010, j'en avais comme les autres une image mystérieuse, et par la suite j'ai vu un ou deux rouleaux de ses compositions picturales dans des expositions collectives et quelques reproductions sur le Net ou dans des livres, ce qui ne m'avançait pas à grand-chose. Jusqu'à ce que le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris présente en 2015 une exposition de 45 oeuvres données au musée par le couple Lerner, auxquelles s'ajoutaient des prêts. Et bon, il faut bien dire que vous changez de perspective en vous retrouvant devant les peintures et dessins de Darger, parce que c'est très inhabituel, et que ça demande pas mal de concentration pour s'y retrouver un minimum - sans compter le trash de certaines peintures.


Darger a inventé une histoire à rallonge, qui narre l'épopée sanglante des Vivian Girls, petites filles qui luttent avec d'autres enfants contre des adultes très malveillants, les Glandeliniens (oui, ça sonne très freudien...), voulant les réduire en esclavage, et qui passent leur temps à les traquer, les massacrer, les torturer. D'autres adultes viennent en aide aux Vivian Girls, ainsi que des créatures ailées et cornues nommées les Blengins ; ce qui nous donne des illustrations de moments de paix, dans des environnements plutôt enchanteurs. Mais l'ensemble reste marqué par la violence, la violence, et encore la violence. Pour ma part, autant je suis frileuse pour les films un peu dégueu, autant je supporte bien le trash en arts plastiques (même que j'aime ça, en fait), mais si ce n'est pas votre cas, attendez-vous quand même à voir des enfants éviscérés (beaucoup d'enfants éviscérés) et ce genre de choses.


Il se trouve cependant que l'oeuvre plastique n'est pas à l'origine de l'histoire des Vivian Girls. The Story of the Vivian Girls, in What is known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinnian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion est d'abord un roman d'à peu près 15 000 pages (ouais, rien que ça), qu'ensuite Darger s'est mis à illustrer, souvent sur de grands rouleaux ; on compte en gros 300 oeuvres plastiques se rattachant aux Vivians Girls. Mais Darger ne s'est pas contenté de ça. Il a écrit une suite des aventures des Vivian Girls, des textes sur des phénomènes météorologiques, des journaux, une autobiographie suivie d'une fiction sur une tornade, Sweetie Pie, ce dernier ensemble comportant dans les 5 000 pages. Or, le livre que je viens de terminer contient une petite centaine de pages. C'est en fait l'autobiographie seule, et non plus suivie de Sweetie Pie, comme elle l'était à l'origine .


Question : pourquoi ne publier que ce tout petit extrait d'un travail monumental ? Rien d'autre de Darger n'a été publié en français, et on comprend bien que publier des dizaines de milliers de pages, ce serait une impasse éditoriale. On pourrait penser que ce livre a donc été publié afin d'éclairer un peu mieux le personnage et son oeuvre. Et pourtant, c'est pas si évident que ça à la lecture. On s'attend par exemple à pouvoir faire le lien entre les maltraitances subies par Darger au Lincoln Institute quand il était enfant et adolescent - dont j'ai lu à peu près partout qu'il était réputé pour les mauvais traitements qui y étaient infligés aux pensionnaires - et les Vivian Girls. Or si Darger parle pas mal de cet institut pour enfants "faibles d'esprit", mais aussi d'un pensionnat où il avait été placé auparavant, il est très peu question de maltraitance. Il insiste même sur le fait qu'il considérait le Lincoln Institute comme sa maison.


Ce qu'on va repérer, c'est davantage ses problèmes ou ses bons rapports avec ses supérieurs hiérarchiques (il a travaillé comme homme à tout faire dans des hôpitaux toute sa vie d'adulte), son caractère rancunier, difficile, sur lequel il insiste de plus en plus sur la fin du texte. Et sa fascination pour les phénomènes météorologiques tels que les tornades, les tempêtes, la neige, le froid mais aussi les incendies ou les explosions (ce qui se retrouve dans l'histoire des Vivian Girls). Et ce qui marque aussi pas mal, c'est qu'il raconte une fois, deux fois, trois fois, voire plus, la même anecdote, le même évènement. Il semble qu'il ait écrit sans songer à la structurer son autobiographie, mais aussi parfois qu'il ait tenu absolument à insister sur certains points. Bien, entendu, il ne faut sans doute pas sous-estimer dans l'écriture de Darger les troubles psychiatriques dont il semble qu'il ait été atteint


De là à comprendre pourquoi ce texte a été édité tel quel en français (bien qu'accompagné d'illustrations dans une première édition)... Je suppose que c'était d'abord une façon d'attirer les amateurs d'Art Brut et de Darger sans beaucoup s'investir - un dossier attenant au texte de Darger n'aurait pas été de trop -, et que lors de la seconde édition en poche en 2020, c'était une façon d'amener le lecteur vers la biographie de Darger par Xavier Mauméjean, dont la promotion est faite en fin d'ouvrage. Je vais donc aller fouiller de ce côté (et j'y serais allée de toute façon, je crois), puisque le texte tronqué de Darger à lui seul est loin de suffire à combler ma curiosité !


Drôle de choix éditorial, tout de même...

Lien : https://musardises-en-depit-..
Commenter  J’apprécie          504



Ont apprécié cette critique (49)voir plus




{* *}