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Critique de Lutopie


La Chèvre de Monsieur Seguin appartient à M. Seguin. Ne l'a-t-il pas achetée pour qu'elle porte son nom non seulement en tant que complément du nom mais pour qu'elle reste “sa” chèvre ? En même temps, le nom qu'elle porte, Blanquette, la prédestine à disparaître, à être mangée bien qu'elle ne soit plus un chevreau. Avez-vous déjà mangé de la blanquette de chevreau ? Moi, non, mais je me demande quel goût ça a, même si je ne suis pas un loup, mais pardon, j'ai tendance à m'égarer après la pause déjeuner. Revenons donc à l'histoire de la chèvre de M. Seguin. Qui porte les cornes dans cette histoire ? Blanquette qui se battra avec les siennes ou M. Séguin qui en a un peu marre que toutes ses chèvres l'abandonnent ? “C'était, paraît-il, des chèvres indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté.” Ici l'animal domestique revendique sa liberté comme une femme s'ennuyant ferme chez elle et s'ennuyant de son mariage, se demandant si l'herbe n'est pas plus verte ailleurs. M. Séguin a déjà perdu six femmes un peu chèvres aussi choisit-il comme septième une plus jeune pour mieux la dresser. Ah quel coquin ce bon M. Seguin ! Ce qui la caractérise la Blanquette, c'est sa joliesse. Et puis, celle-ci, elle est docile et caressante, “se laissant traire sans bouger”. Bref, “un amour de petite chèvre ... “ Une belle histoire d'amour en perspective. Sauf que voilà, elle est comme toutes les autres la Blanquette. “M. Séguin se trompait” lorsqu'il y espérait qu'elle serait différente “la nouvelle petite pensionnaire”. Elle est certes heureuse au départ dans son clos entouré d'aubépines (symbole de pureté virginale) mais elle finit par s'ennuyer à force d'être attachée au pieu (clouée au lit si vous préférez).
Aussi s'ensuit-il ce dialogue déchirant entre M. Séguin et sa chèvre :

“- Écoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous, laissez-moi aller dans la montagne.

[...]

- Comment, Blanquette, tu veux me quitter !

Et Blanquette répondit :

- Oui, monsieur Séguin.”

Il lui propose d'allonger sa corde, de faire quelques concession à leur mariage, de lui donner plus de libertés, mais elle veut la liberté absolue aussi l'enferme-t-il la “coquine” à double tour dans l'étable. Mais la prisonnière s'échappe bien vite par la fenêtre. “Malheureusement, il avait oublié la fenêtre et à peine eut tourné, que la petite s'en alla ... Tu ris, Gringoire ? Parbleu ! je crois bien ; tu es du parti des chèvres, toi, contre ce bon M. Séguin …” Elle est vraiment chèvre la femme de M.Séguin, ajouterait bien volontiers M.Daudet.

Dans la montagne, la Blanquette, “on la reçut comme une petite reine. “ Elle laisse libre cours aux sens, elle découvre la nature à l'état sauvage, les arbres la caressent, les parfums capiteux des fleurs l'enivrent. La symbolique des fleurs est parlante : “ Et les fleurs donc !... de grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices, toute une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux ! ..." Mais c'est une fleur dangereuse que la digitale pourpre ! Quant aux campanules ou les miroirs de Vénus, c'est cette beauté négligée, ce charme et cette grâce. Elle cueille entre ses dents la cytise associée à la beauté et au rite du mariage comme pour s'en détacher telle une fleur arrachée. Et c'est alors qu'elle tombe sur une troupe de chamois qui dégustent quelques lambrusques ( la vigne sauvage) alors là, c'est l'ivresse ! “Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation [comme dans un salon]. On lui donna la meilleure place à la lambrusque, et tous ces messieurs furent très galants …” Elle s'enfuit avec un jeune chamois noir et “les deux amoureux” s'en donnent à cœur joie bien que M. Daudet ne nous donne aucun détail. Et puis, après s'être bien fait du bien et le mal étant fait, le ciel se couvre et la nuit tombe. Elle prend peur, pense à M. Seguin avec nostalgie après s'être moqué de lui dans la journée en le regardant du haut de la montagne mêêh elle se dit qu'il est trop tard pour elle maintenant qu'elle a pris le goût de la liberté. Et c'est alors qu'on entend le “Hou hou” du loup et la trompe de M.Seguin trompé. Trop tard, la robe virginale de la chèvre de M.Seguin sera tachée de sang.

PS : Merci à oiseaulire pour nos échanges et à Nastasia-B pour sa critique qui m'a orientée vers une relecture. En effet, je n'avais jamais lu la partie consacrée à Gringoire n'ayant lu petite qu'une version pour enfants. La fin du conte est surprenante et charmante à la manière de la Provence :

“Adieu, Gringoire !
L'histoire que tu as entendue n'est pas un conte de mon invention. Si jamais tu viens en Provence, nos ménagers te parleront souvent de la cabro de moussu Séguin, que se battégue tonto la neui erré lou loup, e piei lou matin lou loup la mangé.”
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