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Critique de CDemassieux


Lorsque les éditions Çà et Là m'ont gracieusement adressé un exemplaire d'Angie Bongiolatti, je me suis senti fébrile : et si j'étais rebuté ? A moins de n'avoir aucune éducation, on n'écrit pas qu'on n'aime pas un cadeau !
Enfin, je respire ! Il s'agit là d'une bande dessinée remarquable, tant du point de vue du fond – que Woody Allen et ses névroses ne renieraient pas ! – que de la forme – rappelant les graphismes de Crumb ou Spiegelman, artistes underground du 9e art américain ayant réussi la prouesse de nous révéler que la B.D. made in U.S.A. ne se résumait pas à des super-héros plus ou moins super forts et psychopathes !
Angie, c'est le personnage-titre. Elle fait le lien entre d'autres personnages présents et passés. Une fille avenante qui travaille dans une startup, et pleine d'espoirs sur l'avenir du monde, autant dire pleine d'illusions. Ses convictions, sa sexualité quelque peu débridée la feraient passer pour une militante des droits civiques dans les années 1960 ou une égérie rock de la décennie suivante.
Angie n'est cependant pas malsaine : elle est libre. Ce qui signifie à peu près la même chose dans la société désenchantée newyorkaise d'après le 11-Septembre, orchestrée par l'un des plus déplorables présidents américains : Junior Bush ! Quoique ses illusions ne soient plus les miennes, Angie est noble, mue par un rêve de société idéale. Elle expérimente – c'est de son âge ! – tous les moyens possibles pour matérialiser ce rêve.
Alors, on pourra se moquer de cette candeur que nous n'avons plus – nous, les diplômés assumés de l'université Vieux Cons ! –, mais il est sain de croire aux utopies irréalisables qui reposent sur une honnêteté existentielle ennemie de la domination, et permettent de supporter un monde qui se fissure moralement de toute part. Certes, je ne partage pas tous les points de vue des personnages, loin de là, mais je les respecte pour avoir connu les mêmes certitudes, revirements, hésitations, avant de goûter aux désillusions. Angie me fait voyager dans mon propre passé.
L'entourage de l'héroïne navigue dans les mêmes eaux qu'elle : c'est une jeunesse incertaine qui n'a plus le soutien d'une contre-culture forte pour s'épanouir dans sa révolte. Elle est seule cette jeunesse, empêtrée dans ses désirs, quels qu'ils soient.
Angie éveille ses amis, les aime aussi, et la plupart ont en commun d'en être amoureux. Mais elle demeure insaisissable. Elle n'appartient à personne, affirme-t-elle. Elle est, je l'ai déjà écrit : LIBRE.
Mike Dawson brosse donc un portrait sans concession de l'Amérique post 11-Septembre, à travers des personnages dont le pathos n'a heureusement pas la pesanteur d'un pachyderme boulimique ! C'est « léger » sans être mièvre ; une tranche de vie que le dessin, avec sa fluidité d'esquisse, renforce. Ce n'est pas une énième histoire du quotidien des classes moyennes américaines : Angie Bongiolatti sous-tend une réflexion profonde sur l'impasse du capitalisme mondialisé qui plonge ses acteurs dans l'apathie pour en faire ensuite ses esclaves consentants.
Et si l'auteur dissémine des citations d'Arthur Koestler plusieurs fois dans son récit – accompagnées de crayonnés embrumés – ce n'est pas anodin : Koestler est une figure du désenchantement du monde, et sa vie faite de revirements.
Angie Bongiolatti ne nous propose pas de remède miracle et nous dit en substance ceci : une société est faite d'individualités et ne saurait être une conscience collective. Les personnages, comme chacun de nous, se débattent à la fois dans leur vie intime et leurs convictions. Rien n'est définitif quand il s'agit de vivre.
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