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Citations sur Nos absentes, à l'origine des féminicides (4)

La rédaction avait ajouté un petit encart
à mon texte pour apporter une définition du terme, encore méconnu 13,
« féminicide » : « des meurtres de femmes commis par des hommes parce
qu’elles étaient des femmes ». Le mot avait fait son entrée dans Le Petit
Robert avec l’édition 2015 : « féminicide, nom masculin. DIDACTIQUE
Meurtre d’une femme, d’une fille en raison de son sexe. Reconnaissance
juridique du féminicide par plusieurs pays d’Amérique latine. »
Lydie Bodiou et Frédéric Chauvaud ont retrouvé une première trace du
mot, orthographié « femmicide », dès le XVIIe siècle, dans une pièce du
dramaturge Paul Scarron, Les Trois Dorotées, ou le Jodelet souffleté. Selon
les historien·ne·s, il est utilisé de manière discrète par des journalistes au
XIXe et au XXe siècle, pas toujours sous la même acception. Hubertine
Auclert est l’une des premières à l’avoir employée dans une perspective
féministe. En novembre 1902, cette écrivaine et figure incontournable du
féminisme tricolore a parlé de « loi féminicide », en opposition à un projet
de loi sur le divorce, dans un article pour le quotidien Le Radical. J’ai pu
consulter cette archive : « Lorsque cette loi feminicide aura été abrogée,
quand l’homme et la femme seront dans le mariage deux associés égaux et
libres, le divorce par la volonté d’un seul des époux ne nous effraiera plus
pour la femme. »
Sous sa définition actuelle, le terme a été prononcé dès mars 1976, à
l’occasion du « Tribunal international des crimes contre les femmes », à
Bruxelles. Simone de Beauvoir avait salué ce tribunal comme étant « le
commencement d’une décolonisation radicale des femmes ». Deux mille
activistes, venues d’une quarantaine de pays, en Europe, mais aussi du
Mozambique, du Yémen, des Philippines, d’Australie, avaient convergé
vers la Belgique pour siéger, en non-mixité, à ce sommet retombé dans les
limbes de l’oubli.
Sur scène, il fut question de viol, de stigmatisation du célibat, de la
vieillesse, de la double oppression d’être femme et migrante, et d’autant de
maux qui allaient dessiner l’agenda féministe des décennies suivantes. La
sociologue sud-africaine Diana Russell avait appelé à « reconnaître la
politique sexuée du meurtre » : « Des bûchers de sorcières du passé
jusqu’au meurtre plus récent des femmes au nom d’un supposé “honneur”,
nous réalisons que le féminicide perdure depuis un long moment. »
En 1992, Diana Russell 14 codirige, avec la criminologue britannique Jill
Radford, l’anthologie Femicide : The Politics of Women Killing 15. Par ce
biais, l’universitaire espère que « désigner cette forme extrême de violence
sexuelle entraînera une résistance généralisée ». J’y ai surligné ce
passage 16 : « Le fémicide se situe à l’extrême d’un continuum de terreur
antiféminine incluant une grande variété de violences sexuelles et
physiques, telles que le viol, la torture, l’esclavage sexuel (en particulier
dans la prostitution), les incestes et les violences sexuelles extrafamiliales
envers les enfants, les violences physiques et émotionnelles, le harcèlement
sexuel (au téléphone, dans la rue, au bureau et en classe), les mutilations
génitales (clitoridectomies, excisions, infibulations), les opérations
gynécologiques inutiles (hystérectomies gratuites), l’hétérosexualité forcée,
la stérilisation forcée, la maternité forcée (en criminalisant la contraception
et l’avortement), la psychochirurgie, la sous-nutrition des femmes dans
certaines cultures, la chirurgie esthétique et les autres mutilations au nom de
l’embellissement. Quand ces formes de terrorisme entraînent la mort, ce
sont des féminicides. »
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Les enfants exposés aux violences conjugales ressentent un traumatisme plus lourd que s'ils avaient été en zone de guerre.
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Un soir, alors que Laetitia est âgée de 24 ans, elle appelle son père à l'aide. Une dispute a éclaté. Laetitia est enceinte de son premier enfant. Et ce n'est pas un détail : les premières violences physiques se déclenchent souvent au moment d'une grossesse, parce que le conjoint agresseur peut avoir la sensation de perdre le contrôle sur sa compagne.
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Chaque cas est consigné sur mon ordinateur dans un fichier Excel où je
renseigne, dès que possible, l’identité, l’âge, la profession de la victime
comme du suspect, s’il y avait des enfants, le nom de leur ville et de leur
département, ainsi que le lieu du crime. J’inscris des éléments sur le mode
opératoire, si l’homme s’est ensuite suicidé, s’il a plutôt tenté de prendre la
fuite ou, au contraire, joint les secours. Des tendances se profilent. Ce sont
des « sur-meurtres ». Il ne s’agit pas d’une simple mise à mort, mais d’un
véritable acharnement contre le corps des femmes. Les meurtriers
enchaînent souvent les coups de couteau, de poing, ou criblent de balles la
dépouille. Les personnes âgées représentent une forte proportion des
défuntes. Je relève de nombreux cas de maladies comme Alzheimer. Le
contexte de séparation est fréquent, dans un laps de temps de six mois.
L’ensemble du territoire national est concerné mais, en 2018, La Réunion
est le département le plus endeuillé. L’extrême majorité des meurtres a lieu
à domicile. Élément le plus saillant : je repère des antécédents de violences
dans un tiers des cas. Soit sur des ex, à l’instar de Sofiane, soit la victime
avait déjà alerté autour d’elle, appelé à l’aide les forces de l’ordre. Ce ratio,
de 35 à 40 % d’antécédents connus de violences, reste constant, année après
année. Par exemple, en 2020, selon le ministère de l’Intérieur, 35 % des
victimes de féminicide conjugal avaient subi des violences antérieures.
Cette année-là, une défunte sur cinq, 18 %, avait porté plainte. En vain.
Quatre fois sur cinq, cette même plainte est classée sans suite. Un
rapport de l’Inspection générale de la justice commandé par le ministère de
la Justice et diffusé fin 2019 5 a révélé que 82 % des plaintes et mains
courantes déposées par des victimes d’homicides conjugaux n’avaient pas
donné lieu à des mesures prises par les services enquêteurs. « La chaîne
pénale n’est pas satisfaisante », avait concédé, à grand renfort
d’euphémismes, la garde des Sceaux de l’époque, Nicole Belloubet.
Le féminicide n’est pas seulement un crime genré. C’est aussi un crime
d’État. L’anthropologue mexicaine Marcela Lagarde y de los Ríos, une
autre pionnière de la recherche sur les féminicides 6, recourt à la notion
d’impunité pour caractériser ces assassinats : « Le féminicide implique la
rupture partielle de l’État de droit, car l’État est incapable de garantir la vie
des femmes, de respecter leurs droits fondamentaux, d’agir en suivant les
lois et en les faisant respecter, de rechercher et de rendre la justice, et de
prévenir et d’éradiquer la violence qui en est à l’origine 7. »
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