De toute manière, maintenant qu’elle est habitée, la maison ne peut plus rien nous faire. C’est à lui qu’elle va s’attaquer. Qui qu’il soit.
Il préférait l'histoire des faits aux contes de fées.
Maël comprit alors, pour la première fois de sa vie, que le mal pouvait être aussi douloureux pour le blessé que pour celui qui s’était montré blessant.
La jeune fille craignait qu’une parole maladroite ne déclenche une colère contre laquelle elle serait impuissante. Les îliens accordaient tellement de pouvoir à Gwenaëlle qu’aucun d’eux ne l’aurait affrontée directement. Durant les veillées, ils débitaient leurs vilenies sur elle et répétaient les gestes de protection que leur avaient transmis leurs ancêtres. Personne n’était dupe, mais les apparences étaient préservées. Les plus jeunes, comme elle-même, se moquaient de leurs parents et préféraient les soirées devant la télévision. Lisette aurait pourtant donné beaucoup, ce jour-là, pour pouvoir rendre visite à sa grand-mère et écouter tout ce qu’elle n’avait jamais voulu entendre jusque-là : les incantations qui tenaient le mal éloigné, les plantes qui le repoussaient, les pierres qui protégeraient… Gwenaëlle n’était peut-être pas mauvaise, mais il ne faisait aucun doute qu’elle était bien une sorcière et, plus que pour toute autre femme, il était difficile de dire de quoi celles-là étaient capables.
Gwenaëlle avait reconnu et accepté sa nature de sorcière. Mais le vent lui avait murmuré que ses dons seraient insuffisants pour ce qui allait suivre. Elle aussi allait devoir apprendre.
Chaque sorcière morte avait vécu neuf fois. Mais cet état de fait allait changer. La malédiction était la même, mais les pouvoirs seraient autres.
– Je suis vraiment désolée pour toi, Maël. Mais ne t’inquiète pas, je vais faire ce qu’il faut pour te sauver. Tu vas bientôt récupérer tes esprits.
Maël tenta de la retenir, mais elle s’écarta brusquement, une note d’hystérie dans la voix :
– Ne me touche pas ! Excuse-moi, c’est que…
Elle lui caressa presque la joue, arrêta sa main
à deux centimètres de son visage.
– Bientôt, tu ne seras plus sous son emprise, je te le promets. Tout ira mieux, alors, tu verras…
En attendant, il est préférable qu’on n’ait pas trop de contact.
Elle sortit sans un au revoir. Maël ne s’inquiéta pas de ses propos. Il croyait Gwenaëlle assez forte pour se défendre toute seule.
La légende disait pourtant que les sorcières n’avaient jamais pu se sauver elles-mêmes.
Quand l’espoir est à portée de main, il est encore plus douloureux de le voir s’enfuir.