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Critique de ClaireG


Le narrateur, ancien mineur, sculpteur et alpiniste, vit dans un petit village au pied de la montagne, troublé par des « étrangers désorientés » qu'il aide à passer de l'autre côté de la frontière, n'ayant qu'une « adresse en poche pour toute boussole ». Une fois sur la bonne route, il rend à ces « voyageurs d'infortune » l'argent du passage. Les media arrivent jusqu'à lui et créent un remue-ménage tel autour de sa générosité qu'il doit quitter momentanément son village natal.

Dans une ville portuaire, un prêtre lui propose de restaurer un crucifix grandeur nature, en le remettant dans son état d'origine, c'est-à-dire nu, sa « nature exposée ». L'enlèvement du voile de marbre ajouté ne peut se faire sans dégâts.

Le créateur de l'ouvrage était un jeune sculpteur, retour de la Première Guerre mondiale où il a connu l'horreur des corps déformés et déchiquetés. le crucifix lui a demandé un an de travail acharné. Devant son refus de couvrir le sexe du supplicié, il est évincé. Il se tue peu après en montagne. Autre temps, autre regard sur l'Art, l'évêque d'aujourd'hui veut revenir à l'original.

L'artisan déchiffre la sculpture comme il lit la nature, en connaisseur avisé et avide d'apprendre. Fasciné par son réalisme, il s'informe sur le créateur, lit les journaux de l'époque, essaie de mélanger les pensées de l'artiste aux siennes, étudie minutieusement les étirements des muscles du supplicié, va jusqu'à se faire circoncire pour éprouver la douleur, la position du corps en état de souffrance. Est-ce pour imiter, est-ce pour interpréter la démarche totale du sculpteur ?

Ce que les yeux ne voient pas, le toucher le lui permet. Il découvre une chair de poule, des ébauches d'écailles sur les pieds, des lettres hébraïques sur la tête de chaque clou, des lettres qu'il ne connaît pas sur le bois de la croix. le rabbin l'éclaire sur les initiales ADAM et URA. le curé évoque l'ICHTHUS, signe de reconnaissance des premiers chrétiens. Dans la cantine du port, il rencontre un ouvrier algérien qui travaille dans une carrière de marbre. Il cite quelques lignes du Coran et lui offre un morceau de marbre pour terminer son chef-d'oeuvre. En quelques mois, l'homme sans foi rencontre un curé, un rabbin et un musulman. En quelques mois, il part dans une quête intérieure dont il sortira grandi.

Les thèmes récurrents d'Erri de Luca se retrouvent évidemment dans ce livre : les textes religieux, la fraternité, la condition humaine, le silence, la profondeur, la montagne et Naples.

Un symbole revient régulièrement : celui de la traversée. La traversée de la lumière vers l'ombre dans sa mine de charbon, celle des clandestins dans la montagne, celle du peuple juif que célèbre la Pâque, celle de l'Algérien qui vient chercher du travail loin de chez lui, la traversée de ceux qui arrivent en terre inconnue, la traversée de l'intimité, de ses propres ténèbres.

Pour moi qui apprécie énormément Erri de Luca, ce livre atteint un apogée, un sommet dans son oeuvre, une efficacité redoutable sans verbiage, une parole simple qui touche le coeur. Davantage que tout ce qui a précédé.

Un grand humaniste.
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