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Critique de LinaLily


Dans ce roman incandescent à l'allure de fin du monde, subsiste l'espoir ; celui qui infuse sous notre peau et fait crépiter nos particules les plus infimes. La langue chantante de la canadienne Virginie DeChamplain nous éclabousse de mille feux pour nous parler de l'urgence à ne pas baisser les bras. ‘AVANT DE BRÛLER ‘ nous sonne, nous étourdit et nous intime l'ordre de tirer les conséquences de nos actes, d'ajuster notre tir avant qu'il ne soit trop tard.

Au lendemain de feux incontrôlables, d'inondations meurtrières, de tremblements d'une Terre qui n'en peut plus, animaux comme humains apprennent la survie, regardent autour d'eux, se cognent à leurs propres solitudes et finitudes. Tous et toutes ont perdu un être cher imprimé dans leur chair. La forêt ne résonne plus des mêmes appels, les loups ont étendu leur territoire et une biche à la rêverie fragile ne sait même pas qu'elle est depuis quelques temps la dernière de son espèce.

Dans ce chaos, deux femmes vont se percuter au détour d'un chemin : l'une, Farah, a fui la ville avec ses 3 enfants et l'autre a tant bien que mal inventé une façon de continuer, hagarde, aux côtés de Marco, homme tronc, le chien Django et Sac à Puces, un chat qui déboule dans vos jambes comme un coup de vent. L'arrivée de Farah va bouleverser l'ordre bancal établi. Les cris joyeux d'enfants vont résonner dans la maison de la forêt : les 2 humaines elles vont se calquer l'une sur l'autre. Chacune trimballe son passé, son drame personnel : aucune n'est prête à en parler comme si évoquer l'horreur c'était la revivre. Mieux vaut enfouir.

Si l'une est femme pilier et racine portant le gun à l'épaule, l'autre serait plutôt roseau qui ne rompt pas, en quête avide de chaleur humaine. Une biche à l'esprit calme continue ses errances, tout en veillant sur ces humaines qu'elle croise au loin lors de promenades en forêt. Son oeil ourlé de cils soyeux est sans cesse braqué vers ces deux humaines: serait-ce pour les avertir du cataclysme imminent qui se profile au loin, par-delà la clairière ?

Dans l'urgence d'une langue indocile et sensuelle Virginie DeChamplain imagine une post-apocalypse féminine où le présent est accueilli comme un miracle. le passé lui, a disloqué des coeurs et des corps, asséché les espèces animales, fait trembler des certitudes. Quand tout vacille, le futur n'est que brume ; la magie de cette plume qui nous vient du Canada, nous éblouit avec des chapitres courts – infimes goulées d'air salvatrices – traversés par de brefs poèmes déclarations de paix à l'existence.

La réincarnation semble possible, tout n'est que renouvellement encore faut-il que l'humain cesse de contrôler. Humains et animaux veillent les uns sur les autres à l'approche d'une menace sournoise ; la terre sera-t-elle tombeau ou matrice ? Ce qui bouleverse dans ce roman hautement inflammable, c'est l'évocation ultra-sensible et poignante du lien unissant êtres vivants humains et non humains. La biche est vigie, la femme est navire. Farah a porté ses enfants, la narratrice a bâti son refuge dans lequel elle peut rentrer en baissant les épaules, signe qu'il fait bon y vivre.

Le chaos extérieur est d'un calme déroutant presque réconfortant contre le chaos intérieur. L'autrice très touchée par l'éco anxiété qui l'habite sait porter la réflexion de manière juste et fait mouche avec cette plume irriguée d'ombres et de lumières. D'une façon ou d'une autre la forêt et tout ce qui l'habite rétablissent toujours ce qui doit être rétabli. C'est ainsi. Dans le passé les humains ont tenté de modifier le temps en ensemençant les nuages. Ils n'ont pas compris le danger et la futilité.

« On voulait pousser la technologie pour sauver les îles, renflouer les lacs, rééquilibrer les saisons, réherber les savanes, remplir les nappes phréatiques, recréer des espaces verts vivants et invulnérables, recréer la nature, recréer le monde comme il était juste avant qu'on avance collectivement le pied au-dessus du gouffre ».
La couleur des bleuets, la texture des premiers bourgeons, une lumière qui passe à travers le noir de nos âmes douloureuses et qui tombe en diagonale sur l'herbe encore un peu mouillée : la force d'évocation de la plume chantante de Virginie DeChamplain fait résonner ce roman « AVANT DE BRÛLER » telle une ode à la nature que nous malmenons tant. Un chant du cygne qui nous intime l'ordre de montrer à nos enfants comment prendre d'autres chemins, là où l'on aspire à autre chose qu'à se détruire encore.

« avant de partir nous
écrirons des guides de révolution
des cartes pour ne plus qu'on nous perde
et puis nous
brûlerons tout pour mieux rebâtir »
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