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Critique de meeva


Jean-Pierre Brisset, c'est une célébrité locale à La Ferté-Macé. Alors ce livre de Marc Décimo, glané au rayon « local » de la bib, est une bonne occasion pour moi de parfaire un peu ma culture régionale.

Le livre s'ouvre tout d'abord sur le récit de la célébration dédiée à Jean-Pierre Brisset, sacré « prince des penseurs » sous l'impulsion de son plus grand admirateur Jules Romains. Une cérémonie eut lieu à Paris, en l'an 1913 pour fêter un esprit si vif, si grand, si admirable…
Après quelques explications, on comprend que le vote qui a permis d'élire Jean-Pierre Brisset « prince des penseurs » était, si ce n'est truqué, au moins biaisé. On comprend aussi que la cérémonie en question était plutôt une sorte de parodie, sans que Brisset ne soit dans la confidence, d'où la nécessité d'éloigner son neveu avec lequel il s'était présenté et qui n'aurait pas manqué de déceler la supercherie. Un dîner de con, en somme !


Marc Décimo s'applique ensuite à présenter la biographie de Brisset, né à La Sauvagère, qui a vécu un peu à Paris, mais principalement à Angers et qui est mort à La Ferté-Macé. J'aime entrevoir dans ce genre de livre un contexte historique que je n'imaginais pas forcément.

Nous sommes ici en 1851 :
« L'instituteur, s'il est irréprochable, plein de bonne volonté et zélé, se heurte à l'indifférence des parents et du maire sous la tutelle duquel il est placé. Qu'il se plaigne du manque de livres, de tableaux, de cahiers lithographiés pour l'écriture et quelle que soit sa patience à l'égard des élèves, les résultats s'avèrent médiocres. Il est aimé des enfants qu'il se garde de châtier corporellement et des parents dont il conserve l'estime. Néanmoins, peu d'élèves en quittant l'école communale savent lire, écrire ; ils n'ont aucune notion de grammaire et leurs connaissances arithmétiques restent très faibles. Il est vrai qu'en plus des absences si nombreuses, les parents attendent les huit, neuf, dix ans même, pour mettre à l'école les enfants et que, de toute façon, ils les retirent au plus tard à douze ans. Ici, comme partout, l'esprit dominant c'est surtout le grand désir de ne faire aucune dépense pour sortir de l'ignorance. »


Brisset, tout petit déjà, s'émouvant de la forme d'une grenouille tuée par lui, était un original, se nourrissant de lectures à la stupéfaction du normand de base :

« Le petit Jean-Pierre aime se retirer dans quelque coin de la campagne pour s'isoler et lire. Toujours plongé dans les n'importe-quels-livres qu'il trouve, il laisse très très sceptique son entourage… des livres, toujours des livres, c'est bien du temps perdu quand on a à travailler les champs, durement, et toute sa vie. Pour s'être courbé toujours sur la terre et avoir soigné inlassablement semailles et plantations, on ne comprend guère quel est le fruit récolté dans les livres ou quelques vieux journaux perdus, oubliés. Une vache, ça fait du lait, une poule des oeufs, des pommiers des fruits et ces fruits du cidre et du calva, mais les livres ? A quoi bon les livres ? Et le ventre qui risque de sonner creux… et de gargouiller… »


Un peu plus grand, il va rester un original quand en faisant l'armée, il se soucie de méthode d'apprentissage de la natation. En effet, pourquoi est-il si difficile d'apprendre à nager, se demande-t-il ? A cause de l'eau, bien sûr. Qu'à cela ne tienne, enlevons l'eau ! Sa méthode révolutionnaire consistera donc à apprendre à nager sur terre, allongé sur le dos. Méthode qui a traversé les âges… ah, bah non. A noter qu'il a aussi inventer une sorte de ceinture-caleçon à usage de bouée.

Ensuite, il fut un peu professeur de langues, puis il travailla aux chemins de fer. Un peu plus vieux, donc, il développa toute une philosophie – ce n'est peut-être pas le mot – toute une pensée, disons.
D'abord il définit de grands principes dans l'étymologie des mots, étymologie qu'il forme… à l'oreille, puisqu'il met en cause l'usage réel du latin :

« Et le 5 janvier, alors qu'il achève son ouvrage de grammaire, Brisset assure que « le latin est ce qu'il a toujours été : un langage artificiel », un jeu semblable à celui qu'il construisait enfant, « une oeuvre d'hommes, un argot » inventé par des chefs, des maîtres et des savants pour opprimer et piller « les braves gens ». »


Enfin, et c'était entre autres l'objet de la considération qui lui était portée, il délivre une révélation, qu'il prétend démontrer (rien que ça) par l'observation et par les mots : l'homme descend de la grenouille !

En 1914, il a légué ses oeuvres à la bibliothèque de la Ferté-Macé. C'est pourquoi celle-ci a aujourd'hui adopté le nom « La grande nouvelle » - ce titre ayant été celui d'une revue publiée par Jean-Pierre Brisset pour se faire de la publicité – et adopté comme mascotte la grenouille.


Alors pour conclure, je vais m'accorder avec un chroniqueur du journal « Le temps », qui en 1906 écrivait ceci :

« De tous les arts, l'art oratoire est celui qui a le moins le besoin d'être encouragé : nous souffrons d'une pléthore d'orateurs. Nous vivons sous le régime parlementaire, où tout dépend de la parole, où le succès et le pouvoir sont non pas au plus digne, mais à celui qui parle le mieux, ou le plus fort, ou le plus longtemps. Ce qu'il se débite de paroles inutiles à la Chambre, dans les conseils municipaux, dans les réunions publiques, est incalculable… Les amateurs d'éloquence, s'il en reste, ont mille occasions pour une d'assouvir leur passion. Les gens à plaindre, ce sont ceux qui voudraient finir cet incoercible débordement de bavardage et qui ne peuvent trouver nulle part de paix et de silence. Car les impitoyables faiseurs de discours sévissent non seulement dans les lieux réservés à leurs exercices, mais dans les cafés, les couloirs de théâtre, les salons, les salles à manger, les cercles, les bureaux de rédaction, sur les trottoirs du boulevard, sur les ponts des paquebots, partout enfin. Et de conclure qu'on ne cause plus à notre époque, on pérore, que l'éloquence est aujourd'hui un fléau et bien loin de souhaiter qu'on lui ouvre de nouveaux débouchés, il faudrait plutôt supplier M. Poincaré de la frapper d'un impôt sévèrement progressif et les savants pastoriens d'en étudier la prophylaxie. La dépêche de Lyon, trois jours après, vient ajouter que le moindre des sots parleurs est toujours assuré, quoi qu'il ait à dire, de trouver dans Paris de plus sots qui l'écoutent. En voulez-vous la preuve ?
Un monsieur Brisset, dont le nom vous est peu familier sans doute, mais qui croit avoir le cerveau plein de pensées dignes d'être communiquées, aspire à sortir de l'obscurité où le sort l'a jusqu'à ce jour maintenu. »
Lien : https://chargedame.wordpress..
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