Du rififi à la tribune des linguistes.
Brisset a un jour été investi du titre de "Prince des Penseurs", parce qu'il passé une bonne partie de sa vie à démonter et à briser la langue française. Pour démontrer que l'homme descend irréfutablement de la grenouille.
Le petit Jean-Pierre aime se retirer dans quelque coin de la campagne pour s’isoler et lire. Toujours plongé dans les n’importe-quels-livres qu’il trouve, il laisse très très sceptique son entourage… des livres, toujours des livres, c’est bien du temps perdu quand on a à travailler les champs, durement, et toute sa vie. Pour s’être courbé toujours sur la terre et avoir soigné inlassablement semailles et plantations, on ne comprend guère quel est le fruit récolté dans les livres ou quelques vieux journaux perdus, oubliés. Une vache, ça fait du lait, une poule des œufs, des pommiers des fruits et ces fruits du cidre et du calva, mais les livres ? A quoi bon les livres ? Et le ventre qui risque de sonner creux… et de gargouiller…
L’instituteur, s’il est irréprochable, plein de bonne volonté et zélé, se heurte à l’indifférence des parents et du maire sous la tutelle duquel il est placé. Qu’il se plaigne du manque de livres, de tableaux, de cahiers lithographiés pour l’écriture et quelle que soit sa patience à l’égard des élèves, les résultats s’avèrent médiocres. Il est aimé des enfants qu’il se garde de châtier corporellement et des parents dont il conserve l’estime. Néanmoins, peu d’élèves en quittant l’école communale savent lire, écrire ; ils n’ont aucune notion de grammaire et leurs connaissances arithmétiques restent très faibles. Il est vrai qu’en plus des absences si nombreuses, les parents attendent les huit, neuf, dix ans même, pour mettre à l’école les enfants et que, de toute façon, ils les retirent au plus tard à douze ans. Ici, comme partout, l’esprit dominant c’est surtout le grand désir de ne faire aucune dépense pour sortir de l’ignorance.
Et le 5 janvier, alors qu’il achève son ouvrage de grammaire, Brisset assure que « le latin est ce qu’il a toujours été : un langage artificiel », un jeu semblable à celui qu’il construisait enfant, « une œuvre d’hommes, un argot » inventé par des chefs, des maîtres et des savants pour opprimer et piller « les braves gens ».