Quant à maman, elle avait fini par ne faire qu'une avec sa langue maternelle: le vénète de Sacile...tel qu'on le parlait dans la première moitié du XXe siècle. Cette langue, charmante, enjouée, douce et spirituelle avait revêtu pour moi toutes les qualités que je trouvais à ma mère et portait à juste titre le nom de Madre Lingua.
Pour nous qui avions jusque là peu voyagé, cette adoption d'un enfant né aux antipodes avait eu pour effet de rétrécir le monde: à tous les trois, à l'abri dans notre maison de Saint-Léger, nous formions un résumé, un condensé de la Terre entière. Impossible, voire inutile, de viser plus loin: le monde nous appartenait. Pas seulement le monde, mais aussi les différentes époques et les différentes cultures des Hommes étaient encloses à l'intérieur de notre maison, liées entre elles par un indéfectible amour.