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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2022 #1 °°°

Pauline, 30 ans, n'avait jamais prêté attention à la trilogie onomastique qui suit son premier prénom : Jeanne, Jérôme, Ysé, posés là dans son état civil sans aucune explication donnée par ses parents. Mais après une tragédie qui la fait basculer dans un « monde blanc » et perdre totalement pied, elle ressent le besoin de percer le mystère de ses trois mystérieux prénoms afin de creuser la couche épaisse de son identité :

« J'écris pour ne pas faire autre chose. J'écris pour donner une contenance à l'existence. J'écris pour me dire que ça ira. J'écris pour me dire que ce n'est pas si moche. J'écris pour attendre que les jours passent, que la vie passe. J'écris pour occuper mes mains. Mes mains écrivent. Elles ne peuvent pas toucher la main sur la paroi de la grotte. Elles ne peuvent pas caresser le petit crane duveteux. Elles ne peuvent pas communier avec la femme d'avant, ni avec l'enfant d'après. Alors elles grattent, elles grattent le papier. Elles s'agitent. Au bout de moi, loin de moi. Elles grattent le parchemin de cette identité à moitié effacée pour écrire une autre vie. Elles creusent les idées qu'il y a sous mon crâne, elles les repèrent et puis elles déterrent. Mes mains creusent comme elles creusent sans fin le sable sur les plages, sans l'idée même d'une fin, dans ce geste répété à l'infini. »

Les mots sont forts pour dire l'impériosité de cette quête d'identité et de vérité sur fond de résilience atypique. Pauline se cherche, se perd, se retrouve en même temps qu'elle prospecte, fouille, explire pour débusquer la vérité de Jeanne, Jérôme et Ysé. Trois chapitres, un pour chaque prénom, un par quête, autant de déambulations modianesques qui éveillent des sensations et des sentiments comme dans la grotte du Pech Merle dans le Lot sur les traces de Jeanne l'arrière-grand-mère considérée comme folle qu'elle imagine être l'aïeule préhistorique, auteure de ses mains pariétales :

« Toucher permet qu'il se passe quelque chose, que quelque chose passe, que quelque chose vienne, que quelqu'un arrive. Nos deux paumes réunies ouvrent un passage secret, une partie de la paroi rocheuse se décale et laisse entrevoir un tunnel qui mène à un trésor. La communion de nos mains de femmes génère une force tellurique plus forte que toutes les autres forces, et, là, sous terre, ensemble, nous ouvrons une trouée. La paroi se lézarde, la vie aussi. »
Puis sur les traces de Jérôme, ami homosexuel de sa mère, emporté dans les années 1980 par le sida, qui la mène dans les rues de Sousse en Tunisie ou les allées du cimetière Montparnasse. Et enfin, un voyage imaginaire dans la peau d'Ysé, le personnage féminin du Partage de midi de Claudel.

Au-delà de l'écriture incroyablement fine et vivante de Pauline Delabroy-Allard, ce que je retiens de ce roman foisonnant, c'est la sincérité de l'auteure qui avance avec une détermination touchante pour se reconstruire et imposer un univers très singulier. Certaines pages sont d'une exceptionnelle beauté et font naître une émotion intense comme les passages sur les mains et la grotte, et surtout toute la deuxième partie consacrée à Jérôme, éblouissante de fantaisie, de drôlerie.

Pour autant, je n'ai pas adhéré à tout. La partie « Ysé » m'a semblé bien longue, j'ai peiné à la finir. Si le jeu- dialogue avec ce personnage fictif a quelque chose de virtuose, n'ayant pas lu l'oeuvre de Claudel, j'ai l'impression d'être passée complètement à côté de références importantes pour l'appréhension de l'évolution psychologique de Pauline. de même, les trois parties sont nommées selon les trois questions fondamentales de la pensée de Kant, inspirées de sa théorie de la connaissance : « que puis-je savoir ? », « que dois-je faire ? », « que m'est-il permis d'espérer ? » ... sans que je n'en saisisse la portée ou la pertinence.

C'est toute la singularité de ce récit, à la fois très intellectuel et très intuitive, sa limite aussi à mon sens car les clés de lecture peuvent manquer pour apprécier certains passages exigeants qui, du coup, bascule dans une opacité qui met à distance, là où d'autres passages, plus immédiatement accessibles, touchent et enthousiasment avec leur élégance à laisser le lecteur avoir sa place.

Ce qui est sûr, c'est que la réflexion sur le pouvoir de l'écriture et de l'imagination est puissante. L'auteure le dit bien dans le premier chapitre, si elle n'obtient pas les réponses voulues sur Jeanne, Jérôme et Ysé, elle inventera, suggérant que c'est dans la littérature qu'on trouve sa véritable identité et dans les ivres qu'on peut être soi-même, dans une sorte de transfiguration qui accueille et apaise comme un refuge.

Lu dans le cadre d'une Masse critique privilégiée
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