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Critique de Woland


Etoiles Notabénistes : ***

ISBN : Non usité à l'époque

Ici encore, un binôme, et qui aurait pu être l'un des meilleurs de Delly. Certes, l'érotisme délicat y subsiste - moins puissant néanmoins que dans La Lune d'Or ou quelques autres dont vous trouverez les fiches sur ce même fil (et sur Nota Bene Culture Littéraire). Seulement, apparaissent ici deux problèmes de taille. Mais avant de nous y confronter, résumons l'intrigue.

L'action se situe sous le règne d'Henri III et du vivant de Catherine de Médicis. Tout débute cependant non à la Cour mais en Bretagne, dans un sombre château, propriété du baron de Pelvéden qui fut, et est resté, entièrement à la solde de la Reine-Mère. A ses côtés, se meurt à petit feu son épouse, qu'il a jadis aimée mais dont il a aussi utilisé la beauté pour parvenir à certaines fins au temps où le couple était l'un des plus en vue au Louvres, à la Cour de Charles IX. C'est aussi au château de Pelvéden que le lecteur croise pour la première fois trois personnages importants du "Sphinx d'Emeraude" et de sa suite, "Bérengère, Fille de Roi" : Gaspard de Sorignan, neveu de la baronne, un charmant jeune homme un peu naïf qui a, malheureusement, le tort d'être huguenot ; Françoise d'Erbannes, jeune fille jolie et coquette, qui épouserait le Diable en personne afin de fuir une vie monotone et sans éclat ; et enfin la toute jeune Bérengère, une enfant que le baron de Pelvéden aurait trouvée, abandonnée sur la route, un soir qu'il revenait de Nantes, et que ce parangon de sècheresse d'âme et de ladrerie aurait, chose pour le moins étrange, décidé de prendre à sa charge.

De fil en aiguille, Françoise parvient à convaincre Gaspard de s'enfuir avec elle à Paris tandis que, en parallèle, la baronne de Pelvéden, qui aime réellement la petite Bérengère et ne veut pas la laisser aux prises avec son époux une fois qu'elle-même sera morte, réussit à persuader son neveu de se charger en plus de Bérengère. Bon garçon, Sorignan accepte. Mais la route est longue jusqu'à Paris et Pelvéden envoie des coursiers à la suite des fuyards. Heureusement pour eux, ceux-ci se voient entretemps interceptés par les hommes du duc de Rochelyse, type habituel du héros favori de Delly, et grand seigneur qui, on le saisit très vite sans en comprendre évidemment toutes les raisons, n'apprécie pas du tout Pelvéden. C'est grâce au duc que les messagers du baron sont réexpédiés chez eux avec l'ordre formel d'expliquer au vieillard que, désormais, "le duc de Rochelyse prend Gaspard et ses deux compagnes sous sa protection."

Arrivé sans plus d'encombres à Paris, notre trio parvient à se placer, si l'on peut dire, par l'entremise d'un cousin de Gaspard, M. de Lorgils, bien en vue à la Cour et notamment auprès du duc de Joyeuse, l'un des favoris du Roi. Gaspard trouve une place dans un régiment ; sa "fiancée", Melle d'Erbannes, est introduite en cette Cour dont elle rêvait tant ; quant à la petite Bérengère, qui ennuie un peu et Françoise et Mme de Lorgils, lesquelles ne savent exactement quoi en faire, elle est confiée à Giulia Calmeni, fille du parfumeur (et empoisonneur) préféré de la Reine-Mère, Lorenzo Calmeni. Giulia est aussi, accessoirement, l'une des maîtresses du duc de Rochelyse qui, doit-on le préciser, est également un ennemi juré de Madame Catherine. D'ailleurs, allant lui rendre visite, le duc voit la jeune femme gifler Bérengère et décide d'emblée de ramener l'adolescente chez lui, ou plutôt chez sa tante, Mme de Tregunc.

Après moult péripéties dignes d'un vrai roman de cape et d'épées, et suite à de formidables découvertes quant à l'identité réelle de Bérengère, le duc épouse la jeune fille non sans avoir, bien entendu, puni les méchants (et surtout les méchantes).

Comme toujours, l'intrigue est bien menée, le style est fluide et les personnages, bien que souvent convenus, ont de l'envergure. D'où viennent alors les problèmes dont je parlais plus haut ?

1) Eh bien, tout d'abord, au contraire de "Laquelle ? / Orietta", voire d'"Entre Deux Âmes" ou de "La Maison des Rossignols" et, comme de juste, de "La Lune d'Or" (un chef-d'oeuvre en la matière ), il n'y a ici aucun rapport de forces entre le héros et l'héroïne. Si Wennaël de Rochelyse est beau, arrogant à bon droit, intelligent, fier et homme d'honneur et si l'auteur lui concède une pointe de sadisme (Cf. la scène de torture dans les cachots, dans le deuxième volume), Bérengère est belle, douce, cultivée, humble comme le doit toute bonne catholique et, tant par le sang que par le caractère, en tous points digne de son prétendant. Evidemment, s'il exigeait d'elle quelque chose de "contraire à la volonté de Dieu", le lecteur a l'impression qu'elle se transformerait en furie ou courrait droit s'enfermer au couvent. Mais comme Rochelyse est catholique à fond et que, en homme d'honneur, il respecte la candeur comme le rang (car il s'en doute très tôt) de Bérengère, la pauvre petite ne court aucun risque de ce côté-là, croyez-moi. du coup, Bérengère appartient à ces héroïnes placides que l'on rencontre dans la moitié à peu près des ouvrages dellyesques et dont la douceur passive, qui se réfère tout le temps à la volonté de Dieu, tempère les fulgurances éblouissantes des Rosario de Chantelaure, Orietta Farnella, Valderez de Noclare et autres Liliane de Sourzy (pour ne rien dire d'Aélys de Croix-Givre). Remarquez, on peut aimer : c'est reposant. On peut aussi, avec l'âge, faire la grimace devant le côté un peu gnan-gnan de la chose mais baste, c'est Delly, que Diable ! Et, à cinquante-sept ans, je ne vais tout de même pas renier des héros qui me fournirent tant d'oxygène et tant de rêve quand j'en avais tant besoin, il y a maintenant quatre décennies ... ;o)

2) le second problème me gêne de toutes façons beaucoup plus. En effet, après tant de livres lus à mon compteur de bibliothèque, je me rends bien compte aujourd'hui que Delly a suivi aveuglément la propagande du XIXème siècle qui voulait faire à tout prix de Catherine de Médicis une basse empoisonneuse et rien que cela, de Henri de Guise, chef de la Ligue, quasiment un archange St-Michel (ou alors un St-Georges parti en guerre contre le Serpent ou le Dragon) et d'Henri III, un monarque sans aucune personnalité et qui n'a fait que nuire à son pays. le portrait d'Henri de Navarre n'est pas plus nuancé : s'il n'est pas un saint, le Béarnais est absous de toutes ses faiblesses parce qu'il s'est converti au catholicisme. L'ensemble, c'est-à-dire la manière dont l'auteur représente le contexte politique et historique, est de la même eau : Michelet revu par Dumas - ou le contraire.

Là, évidemment, je ne saurais être d'accord. Catherine de Médicis fut probablement l'une des plus grandes reines de France - "un grand Roi" déclarait-même son gendre, devenu Henri IV. Celui-ci, aussi grand Chef d'Etat que sa belle-mère, risqua pourtant bien des sottises quand la chair parlait trop en lui et, s'il se convertit au catholicisme, c'est qu'il n'y voyait que bon sens et logique : renoncer à un trône pour la foi protestante, qui ne fut jamais très forte chez lui, ce n'était pas le genre d'Henri de Navarre. Henri III, d'ailleurs, ce qui n'est pas précisé non plus, ne lui avait-il pas, sur son lit de mort, légué officiellement son royaume ? Eh ! oui, le monarque aux mignons fut, lui aussi, l'un de nos plus grands souverains - et un grand Français. Enfin, Henri de Guise, duc de Lorraine, s'il avait, c'est indéniable, d'incontestables qualités, fut avant tout le prototype de ces frondeurs qui allaient pourrir une partie du règne de Louis XIII et la minorité de Louis XIV. Comme son cousin Navarre, Henri de Guise ne voulait qu'une chose : le trône de France et la fondation d'une nouvelle dynastie. Et c'est avant tout pour ses intérêts personnels et ceux de son clan qu'il utilisa son attachement à la foi catholique.

Plus que le premier, ce deuxième point me gâche donc aujourd'hui beaucoup du plaisir que j'ai à me replonger dans ces vieux livres. Et cela bien que je sache que les Delly ne pouvaient, à l'époque où ils écrivirent "Le Sphinx ..." et sa suite, disposer du recul historique qui est aujourd'hui le mien. Cela ne m'empêche pas de reprendre parfois ces deux livres ... et moins encore de vous en conseiller la lecture ou la relecture. Après tout, nul n'est parfait, n'est-ce pas ? ... ;o=
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