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Critique de ecceom


Jeunesse au jeu des 1 000 Francs

Un concours de "virilité", c'est courant et il s'en lance banalement une dizaine à chaque tournée de bistrot.
Que la bataille d'ergots fasse l'objet d'un pari tenu, avec mise importante (1000 Francs), c'est sans doute déjà plus rare.
Mais qu'une honnête et fidèle femme mariée se propose comme arbitre...Voilà qui est unique !

C'est cette histoire qu'a choisie d'adapter François Dermaut, à partir des notes fournies par son ami Bernard Ollivier (qui de son côté, en a tiré un roman : "Histoire de Rosa qui tint le monde dans sa main").

Nous sommes en Normandie, au début du XXe siècle (si on en croit, la 4ème de couverture et les quelques indices essaimés dans l'album, comme l'architecture des maisons ou un bout du journal "Ouest Eclair").

Rosa est depuis 19 ans, une femme mariée jeune par ses parents, à un agriculteur de 25 ans son aîné.
Résignée et sans passion, réfugiée dans la lecture, elle éprouve toutefois de l'affection pour cet homme aujourd'hui diminué par la tuberculose, une maladie terrible et dont le traitement coute cher.

Rosa tient un café où les hommes du village viennent prendre un verre, se vanter et se provoquer. C'est au cours d'une de ces soirées que naît l'idée d'un pari visant à tester leur virilité.
Reste à trouver un juge impartial.
A la surprise générale, Rosa se propose. Mais à ses conditions.
On imagine ce qu'aurait pu donner une idée a priori assez scabreuse et source d'embûches, entre les mains des "m'as-tu-vu quand je dessine" qui polluent trop souvent les rayonnages de BD. Et on frémit d'imaginer les "le pari vaut bien une fesse" auxquels on a échappé.

C'est dire si le travail de Dermaut surprend, et agréablement.

Je ne sais pas si le concept d'honnêteté peut signifier quelque chose en la matière ; c'est pourtant ce qui me vient à l'esprit concernant cet ouvrage. On sent le travail d'artisan, le soin apporté, le souci du détail, le plaisir de dessiner, celui de rendre justice au texte d'un ami.

Tout ça transparait sous ce trait classique pourtant, mais absolument maitrisé. Les visages sont expressifs, depuis la sérénité d'une Rosa admirable, jusqu'aux trognes des hommes lancés dans leur pari stupide, qui par forfanterie, qui par intérêt financier ou électoral, voire par un curieux romantisme. Par bien des aspects, on pense au travail d'un Gibrat, ce qui n'est pas un mince compliment de mon point de vue.

Le découpage est lui aussi, exemplaire. Chaque case est à sa place et participe agréablement à l'équilibre et la respiration de l'ensemble, sans effets particuliers ou d'esbroufe.

Car la grande force de l'histoire est de ne pas tomber dans la caricature. Au delà des motivations des uns et des autres, c'est une vue en coupe des moeurs d'une époque, de ses rites, de ses hypocrisies autour de la religion, la politique, ou la vertu.
C'est surtout une histoire autour du pouvoir.
Pour certains, la virilité est une prolongation de leur statut, de leur fortune, de leur ambition. Pour d'autres, c'est une quête de reconnaissance, une volonté de renverser le cours d'une existence ratée ou peu gratifiante, de surmonter les craintes.
Et dans ce cercle sexiste, les dignes épouses ne sont pas en reste. Promptes à jeter l'anathème au début, elles commencent pourtant à ralentir l'égrenage des chapelets, quand surgit l'appel du gain.

Au dessus de cette humanité souvent peu reluisante (ces "croquants" aurait dit Brassens*), se trouve Rosa.

L'honnêteté, on la retrouve aussi chez elle. Elle est prude, réservée, en apparence soumise aux parents puis au mari, soucieuse de bienséance et respectueuse de l'ordre... une femme de devoir. Mais sa détermination bienveillante en fait un personnage extraordinaire.

Quelques broutilles quand même.
Donner à des personnages, des noms tels que Lebigot (à un bigot) ou Barnabé Rotic, à un autre, était une facilité évitable.
Dermaut est vraiment un dessinateur formidable, mais je l'ai trouvé un peu moins à l'aise pour mettre en scène certains mouvements.

Tout ça n'est rien par rapport au plaisir pris à la lecture de ce bien bel album, dont j'attends la suite (et fin) avec impatience.

PS. Dermaut est lui aussi marié à une femme beaucoup plus jeune et il a aussi été frappé d'une terrible maladie pendant qu'il dessinait cet album, décidément habité.

*Même si chez Brassens , Lisa n'accorde pas ses faveurs, même "à contre-sous, à contre coeur."
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