J'ai d'abord découvert ce premier roman à l'état de manuscrit ; en effet, en avril dernier, Quentin Desauw m'avait demandé de lire son travail, présenté comme « une fiction sur un jeune marin pécheur de Dunkerque qui fait passer des migrants en Angleterre… » et de lui donner mon avis, me faisant l'honneur de devenir sa bêta-lectrice.
En l'état et en toute objectivité et sincérité, (n'étant en effet ni sa mère, ni sa soeur, ni sa meilleure copine mais simplement quelqu'un qui lit beaucoup et qui parle de ses lectures), son livre m'avait émue, intriguée, intéressée et embarquée.
Aujourd'hui, je tiens
Marée Haute entre mes mains et l'émotion est au rendez-vous : Quentin Desauw est devenu écrivain et son premier roman sera dans toutes les bonnes librairies dans quelques jours. Je reprends presque mot pour mot mes premières impressions devant ce texte définitif.
Marée haute est un récit à la première personne d'un JE complexe, torturé et attachant qui se dévoile peu à peu, comme la marée laisse voir la plage en se reculant, mais la recouvre aussi en revenant, la lissant et la malmenant tour à tour, apportant et reprenant des indices et des détails, les révélant pour mieux les ensevelir ensuite… le titre est choisi (et bien choisi. Merci à l'éditeur de l'avoir gardé) pour nous proposer un pacte de lecture tout en confidences et en non-dits, en confessions et en regrets, en mots et en maux, en mots sur des maux, en maux par les mots…
L'écriture est un savant mélange de familiarité, d'oralité et de poésie… dans une trame narrative superbement construite et addictive. Quentin Desauw sait nous raconter une histoire et faire évoluer des personnages forts mais il le fait à sa façon ; il possède un vrai style, une patte, une signature… C'est très épuré.
Certains passages, volontairement flous et sibyllins nous plongent dans l'intimité du subconscient, dans la subjectivité des points de vue, dans les vapeurs révélatrices des paradis artificiels. Certains personnages sont ambigus et douloureux ; je pense à la mère et puis aussi à celle que le narrateur appelle Maman ; il y a une dualité, une ambivalence... le frère devient métaphore et cristallisation de l'absence… Les compagnons de traversée et de pêche sont des hommes durs et solides, des taiseux dont il faut saisir la psychologie… Les joueurs de foot sur le terrain sont à la fois des partenaires et des freins… Les migrants sont des postures et des regards, les passeurs sont efficaces et sans états d'âmes et les bénévoles sont attachants mais dépassés… Tous évoluent entre souvenirs et vie rêvée entre fantasmes et réalité…
Dans ce roman, il n'y a rien d'inutile, pas de longueurs : tout est dit dans et entre les lignes ; ainsi, les passages érotiques, par exemple, sont là pour illustrer les failles des personnages, leurs difficultés à être et à aimer, à s'accepter et à s'aimer eux-mêmes… Ils illustrent et enrichissent vraiment le parcours amoureux du narrateur.
Les amoureux de la langue trouveront des moments de poésie pure dans les descriptions, des associations métaphoriques qui chantent à l'oreille et esthétisent le récit : « ce matin, le vent était teigneux », « des sternes [...] sereines et nasillardes » …
Quentin Desauw sait écrire et nous faire adhérer à son récit : je ne connais rien à la pêche, pourtant j'ai vécu intensément les passages sur le chalutier. J'ai horreur du foot, pourtant, j'étais sur le terrain. L'écriture de ce jeune auteur possède la magie du réel : on y croit.
Le noeud thématique principal tourne autour du parcours d'un jeune marin pécheur de Dunkerque qui fait passer des migrants en Angleterre… Mais ce roman aborde aussi le malaise de jeunes adultes qui cherchent un sens à leur vie. Les personnages sont des êtres cabossés, tout en fêlures et en force, en équilibre entre leurs démons, leurs rêves et les réalités de la vie. Paradoxalement, le récit est grave, en rapport avec la situation tragique des migrants, mais ancré dans le réel par l'actualité des tabloïds, la mort de Johnny Halliday, des émissions de télé-réalité…
L'auteur maîtrise les règles des univers qu'il nous décrit : la navigation, le sport, l'aide sociale à l'enfance… Son récit est solide et tient la route. Il possède la faculté d'emmener ses lecteurs, ménageant un suspens, une urgence et une émotion qui font défiler ou tourner les pages. Certaines péripéties ouvrent sur plusieurs possibles, font craindre et espérer ; le dénouement, inéluctable, surprend pourtant car, selon les possibilités entr'ouvertes, il n'était pas écrit…
Un excellent premier roman !
Bravo et merci Quentin Desauw.
Marée haute sort le 22 mars 2019 ; ce serait dommage que vous le manquiez.