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Critique de Plumefil


C'est avec plaisir que j'ai relu ce livret de 155 pages, concernant, pour moi, la figure la plus talentueuse et la plus dramatique des artistes du XXe siècle.

Qui ne connaît pas la photo emblématique de cette vieille dame, assise sur une chaise, les mains croisées sur ses genoux, les yeux perdus dans le vague de ses souvenirs, une moue désabusée dessinée sur les lèvres, dans l'attente interminable de quelqu'un venu la délivrer de l'enfer de l'asile ? Michèle Desbordes s'est emparée de cette image lugubre, d'une tristesse infinie, pour imaginer le déroulement monotone de la vie d'aliénée de Camille Claudel. Car il s'agit bien de cette passionnée de la vie, de l'amour et de son art, cette femme au talent incommensurable à laquelle on a coupé les ailes.

Que faire dans un lieu si tristement désolé hormis attendre, attendre Paul, attendre son "petit Paul", ce frère pour lequel elle s'est battue bec et ongles pour qu'il puisse réaliser son projet d'écriture, ce frère qui parcourt le monde entier au gré de ses mutations d'ambassades, ce frère qui a signé sa demande d'internement et par là même, l'arrêt brutal de toute forme d'expression, orale comme sculpturale, ce frère qui ne vient que rarement la voir, même lors de ses passages en France, ce frère qui la néglige et qu'elle aime malgré et plus que tout.

Sur sa chaise bancale, devant le pas de la porte, Camille rêve et ressasse les temps forts de sa vie ; son enfance à Villeneuve, entourée de l'amour paternel, bridée par la dureté de sa mère ; son échappée vers Paris, intégrant l'atelier du Maître, Auguste Rodin ; son ardente passion pour cet homme ; ses divagations dues à l'alcool, la malnutrition, l'insécurité, le sentiment de persécution, qui finiront par l'engloutir au fond d'un asile.

Reprendre "La robe bleue", c'est me replonger dans la détresse et dans la solitude d'une femme que j'admire depuis longtemps. Ce livre est un réel hommage à l'impétueuse et à la rebelle Camille, dévorée par la passion de son art et de son amour brûlant pour Rodin. Je suis toujours aussi bouleversée devant ses sculptures qui sont une mise à nu de l'artiste, à chaque période de sa vie. La sensualité de la "Valse" ou de "Vertumne et Pomone" (ou Sakountala, ou L'Abandon), le désespoir de "L'implorante" retrouvée dans "L'âge mûr", la finesse dans "Les Causeuses" ou "La vague", me submergent à chaque fois.

le talent n'occulte pas les démons qui ont pris possession de l'esprit fiévreux de Camille. À son époque, la psychiatrie était à ses balbutiements et les délires de paranoïa avec lesquels elle se bat n'ont pas de traitement. Seul l'enfermement est préconisé pour retirer l'inopportun à l'abri des regards. Aujourd'hui, l'origine du mal serait attribuée à un burn-out dû à un travail intense, acharné, sans manger ni dormir. Devait-elle être rayée de la famille et subir l'isolement, privée de visites et de correspondance pour autant ? de cette "folle furieuse, dévergondée", qualificatifs abondamment utilisés par sa mère, il reste les oeuvres, celles qu'elle n'a pas détruites, celles qui laissent entrevoir tous les trésors qui ont disparu. C'est grâce à sa petite-nièce, Reine-Marie Paris, petite-fille de Paul, que le travail de cette sublime artiste sort de l'oubli. En 1958, cette jeune femme a 20 ans et découvre, presque par hasard, le travail de son aïeule, maintenu à l'ombre du tabou familial.

Je n'ai jamais eu une grande admiration pour la littérature de Paul Claudel. Son comportement d'évitement vis-à-vis de sa soeur, ne m'a pas mise dans de bonnes dispositions à son égard. Reine-Marie Paris, a confié lors d'une interview de 2014 :"Mon grand-père avait nourri une énorme culpabilité toute sa vie, au-delà de la mort de Camille. Il pensait ne pas avoir fait ce qu'il aurait dû." Sa conscience l'aurait-elle démangée un tout petit peu ?

Ce roman, bien que basé sur la correspondance et inspiré de la vie et des oeuvres de Camille Claudel, est une fiction. Par son style original et sa magnifique écriture, Michèle Desbordes imagine la détresse de cette femme, livrée à ses démons, recluse et abandonnée à une détresse gênante, ballottée de l'asile de Ville-Évrard en Seine-Saint-Denis à celui de Montvergues à Montfavet en Avignon comme un paquet encombrant. Son internement durera trente ans, sans qu'elle touche un seul gramme de terre glaise, et pendant lesquels son "petit Paul" adoré ne lui rendra visite qu'une dizaine de fois ! En 1943, à 78 ans, Camille Claudel meurt dans l'indigence, le froid et la faim, comme 40 000 malades mentaux en France. Dans l'indifférence générale, elle sombre dans l'oubli. Aucun membre de sa famille n'assistera à son inhumation, ni ne réclamera son corps, qui finira dans l'ossuaire du cimetière de Montfavet. Seule jusqu'à bout !

« Une inordinaire solitude » M. Desbordes

« Rien ne dit la peur ou la tristesse, ni la violence d'un désespoir. » M.Desbordes

« Il y a toujours quelque chose d'absent qui me tourmente. » Camille Claudel, Lettre à Rodin, 1886

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