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Critique de Apoapo


Enquête ethnologique sur les prostitué(e)s à Paris dans les premières années 2000, compte tenu des répercussions immédiates de la Loi de sécurité intérieure (loi Sarkozy) récemment abrogée-modifiée.
Il s'agit d'un travail très strictement de terrain, qui s'articule autour de trois pôles : les territoires, le corps et l'argent. Toute tentation de théorisation sociologique est délibérément évincée, sans doute afin de déconstruire un discours sur la prostitution qui est complètement figé dans les stéréotypes (souvent plus ou moins ouvertement moralisateurs), constitués et divulgués comme justification de telle ou telle autre politique publique... En cela, j'approuve.
Mais le résultat d'une démarche de ce genre ne peut être que la mise en évidence de la diversité : clivages entre les prostitué(e)s en premier lieu - selon les genres (féminin, masculin, trans- dans ses variétés), l'ancienneté (les "traditionnelles" et les "nouvelles"), les origines géographiques, la présence ou absence des tiers (proxénètes, réseaux...), activité principale ou occasionnelle, concomitance éventuelle avec la toxicomanie, l'absence de domicile, la régularité du titre de séjour, etc... Tout cela entraîne une diversité de conception et une quasi impossibilité de généralisation sur n'importe quel sujet. Cela est sans doute bénéfique... au départ.
Mais s'arrêter là rend toute conclusion ardue. Et puisque conclusion il y a, ne serait-ce que pour se conformer au minimum des conventions du genre, elle ne peut que réintroduire le politique et le sociologique en catimini. Et l'auteure de feindre de s'en étonner :
"Étrange constat que d'aboutir au politique alors que je ne souhaitais initialement que questionner l'articulation de l'argent, du sexe et des trottoirs en collant aux faits, aux gestes et aux mots les plus proches du vécu." (p. 202) [Une note de bas de page vient cependant corriger cet aveu de naïveté...]

Eh oui ! Tout au long de l'essai, tel qu'il se présente, on lit non sans l'agrément d'une prose parfois soignée, une suite d'anecdotes, d'impressions, de "faits, gestes et mots" qui tournent autour du pot, se répètent souvent, mais on est incapable de parvenir, même transversalement, à cerner les phénomènes précis qui font la réalité générale (aussi spécifique soit cette généralité : là, il s'agit juste d'indiquer des bornes au départ).
Au cours de ma lecture, jusqu'à la dernière page, j'ai eu le sentiment de lire une "première partie", à laquelle s'en suivrait une qui fournirait des réponses. Mais non.
Unique exception - et justement dans la Conclusion, mais qui ferait très bonne figure comme introduction - , une esquisse d'explication de la raison de la relégation de la parole des personnes prostituées - relégation qui vaut aussi pour leur habitat et jusqu'à leur capacité d'accéder au système économique par la propriété ou par la cotisation professionnelle :

"Parce que 'le discours prostitutionnel est le point de convergence des délires collectifs et le carrefour de toutes les anxiétés' [Alain Corbin], il s'agit de faire endosser aux putes et aux tapins tous les maux pour s'en disculper. En dépit de l'endurance physique et morale que doivent acquérir celles et ceux qui battent le pavé, ils sont construits comme des boucs émissaires fragiles destinés à éponger la souillure sociale. Ils sont maintenus la tête sous l'eau pour éviter la contagion.
Mais pour les encastrer dans ce rôle socio-thérapeutique, encore faut-il interdire qu'ils s'expriment. Encore faut-il leur interdire de contester la validité des représentations qui leur sont accolées.
Certes, les stéréotypes ont toujours une fonction avant de révéler une quelconque vérité. Mais force est de constater que, en matière de prostitution, tout est fait, en France notamment, pour que cette évidence passe aux oubliettes." (p. 203)
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